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Jean Paul II, God-Trotter

 

ou saint Paul aujourd’hui

 

 

            Jean Paul II a été, par excellence, le missionnaire du monde, vu l’ampleur universelle que donnait à son ministère le fait d’être pape et celui d’être ultra-médiatisé  . Il a été le plus grand évangélisateur de tous les temps, du moins, jusqu’à présent..

            Fait absolument prodigieux, aucun homme dans l’histoire de l’humanité n’a jamais été autant connu. Et par toute la terre pendant plus d’un quart de siècle.

            Pour faire saisir l’importance vitale pour le monde de ce ministère itinérant, il s’est souvent  référé à Paul. En vérité, il a été l’apôtre des Nations de ce tournant-charnière d’un millénaire à l’autre.

            Il a été Pierre, en visitant 308 des 333 paroisses de sa cité. Mais Paul en visitant des cités par milliers de par le monde.

            Paul VI avait déjà frayé la route, avec les tout premiers voyages pontificaux inter-continentaux. Jean- Paul II s’y engouffre, allant jusqu’au bout de ses possibilités. Il fait 29 fois le tour du globe, soit 8 fois la distance de la terre à la lune, totalise  1 million de kms, parcourant 130 pays en 104 voyages apostoliques, visite 620 villes. ( Certains l’en taquinaient : essayez de passer de temps en temps…  à Rome, entre deux vols ! »)

            Et, s’il n’y avait son devoir d’Etat au Vatican même, s’il n’y avait toutes les contraintes que l’on sait, il aurait été encore bien plus souvent sur les routes.

            Une des grandes souffrances de sa vie : devoir si souvent décliner des invitations, parfois importantes. Et, l’un de ses plus grands renoncements durant les dernières années : devoir ralentir son rythme, vu sa santé déclinante. Encore que même alors, il ira jusqu’au bout de ses forces, visitant encore : Kazaksthan, Georgie, Slovaquie, Espagne, Bulgarie, Suisse, jusqu’à son ultime pèlerinage à Lourdes, alors même que c’était humainement de la folie et que son entourage essayait de l’en dissuader. Ce fut typique quand après les JMJ de Toronto, malgré les conseils contraires, il tient absolument à passer et à Mexico et au Salvador  ( renonçant  tristement seulement à New York où il voulait prier à l’emplacement des deux tours et cela juste avant son 9ème pèlerinage en Pologne. !

            Il a fallu vraiment qu’il soit terrassé par la maladie pour ne plus bouger pendant les derniers mois, si ce n’est pour la clinique Gemelli.

 

L’intense préparation

 

            Partir à la légère ? Jamais ! Préparer et se préparer, des mois à l’avance.

 

            Il s’en donne une peine énorme. Pendant un de ses voyages aux Etats Unis, il fait 55 discours différents sur une semaine. Chaque discours complètement différent de l’autre mais tous se complètent pour former un tout. Au Canada, de l’Atlantique au Pacifique. Chaque jour, il prend un thème différent. On publie l’ensemble ( aux jeunes, au corps diplomatique, aux autres chrétiens, aux politiques, aux prêtres, aux religieuses …) , cela constitue  toute une catéchèse adaptée à la situation politique, économique, sociale, ecclésiale du pays.

            Les langues qu’il ne comprend pas couramment, il veut les connaître un petit peu, pour au moins dire quelques phrases. ( Je connais un prêtre indien qui a été convoqué pour lui donner dix leçons d’un des 8 dialectes qu’il devait parler en Inde .) Après le déjeuner, il met la cassette de la messe dans ces langues pour se pénétrer de la prononciation et des accents. Donc un travail inimaginable pour chacun de ses voyages.

 

            En route

            Il «  épuise » son entourage, surtout les premières années.

            Mai 1979. Premier voyage en Afrique : gigantesque tournée au Zaïre, Congo-Brazza-Kenya, Ghana. A la fin le groupe de journalistes ainsi que sa suite sont complètement épuisés, incapables de suivre son rythme. Le dernier jour, il lance à une équipe de télé allemande : «  Alors les gars, toujours en vie ? » Et à ses collègues de la curie : » Ne vous en faites pas, pour changer, nous passerons Noël dans la neige à Terminillo.  ( célèbre station de ski des Abruzzes) »[1]

           

Toujours prêt à tout

 

       Rien ne lui fait peur. Rien ne l’arrête. Rien ne le retient. Pas une difficulté, pas un problème. Pas un risque. Les lieux les plus dangereux, les contextes les plus délicats, les situations les plus critiques, il les affronte. En face. Il va sur place. Tête baissée ? Mais non ! Tête lucide, cœur embrasé. On le dirait sûr de lui, mais non ! Sûr de Dieu. Lui qui l’envoie, le délègue, l’inspire et le soutient.

La Russie soviétique menace d’envahir la Pologne ? Il gronde :

 

       «  Si jamais l’armée soviétique mettait en œuvre son offensive contre le peuple polonais, je me rendrais moi-même en Pologne et j’inviterais 100 000 Polonais avec moi sur les frontières menacées. Je vous assure qu’il suffirait d’élever 100 000 icônes de la Vierge devant la puissance des troupes soviétiques pour mettre un terme définitif à cette invasion.

(Radio Vatican 22 mars 1981)

 

        Angleterre et Argentine sont en guerre ? Il s’y précipite, un pays après l’autre. Aussi bien reçu par l’un que par l’autre.

Haïti gémit sous la botte de Duvalier ? Il se campe devant lui et lance : «  Il faut que ça change ! » Et voilà le changement déclenché ! Le régime du Soudan massacre les chrétiens du Sud ? Le voilà à Karthoum : «   Cesse de détruire l’homme, c’est ton frère ! »

 La mafia multiplie ses crimes ? Le voilà à Palerme, au cœur de leur fief, piquant la colère de Jésus : «  Vous aurez à répondre du sang versé !  Vous serez jugés ! »

Moscou l’empêche encore d’aller en Lituanie ? Il se rapproche de la frontière : «   O Lituanie, j’entends ta voix, j’entends ton appel ! »  Et il finit par y arriver : Vilnius l’acclame le 4 septembre 1993.

     Toujours prêt aux imprévus : Havel l’invite  de façon impromptue à Prague, il s’y précipite. L’Albanie s’ouvre : il y fonce. Depuis cinquante ans, n’est –il pas attendu ?

Beyrouth et Jérusalem : il y v    a aussi. Restaient Moscou, Hanoï, Pékin c’était son rêve. Benoît XVI pourrait –il y aller ?

 

Rencontrer sa famille là où elle vit.

       

    Mais pourquoi donc s’épuiser ainsi à parcourir le monde ?  Bien souvent, devant les critiques, il s’en est expliqué. D’abord, pour rencontrer chez eux, sur place, les siens, tel un bon père de famille qui visite ses enfants là où ils vivent, ne se contentant pas de les accueillir chez lui. Il veut les voir, dans leur contexte national, social, géographique.

« Le Pape a le devoir de maintenir l’unité et l’universalité de l’Eglise. A notre époque, pareille tâche peut se réaliser plus facilement par la visite, la rencontre, le contact, l’écoute, la participation. »

«  Enfant, j’étais grand marcheur. Puis, je suis devenu grand voyageur, et j’espère continuer de l’être. Je dois faire encore un assez long chemin, et j’espère rencontrer de nombreuses personnes et en être plus proche. Je cherche à le faire toujours dans la prière. Mais la visite pastorale est un moment privilégié parce que je peux vous toucher, vous embrasser. »

 

Guérir les peuples, les remettre debout.

Mais, que fait – il donc partout ?

Les peuples, il vient les conforter, les stimuler, leur rendre courage et confiance. Leur insuffler un élan neuf., il vient  réveiller leur mémoire nationale, les remettre debout, les rendre à leurs racines historiques, restituer leur dignité, leur fierté, rappeler leurs dynasties de saints, sonner le tocsin des urgences, ouvrir les chemins de l’Evangile.

Partout, il a l’art de retourner les situations, de redresser de l’intérieur dérives et déviances, de les orienter vers la source de Vérité. [2]

 

Jusqu’au bout : et de la terre et de son cœur.

 

      Il a dit : «  Les pauvres ont droit à la totalité de l’Evangile » :  aux pauvres de Dieu, il ne cesse d’offrir  Jésus en sa plénitude d’amour et de vérité. Il a dit : «   Savoir parler de Dieu, que c’est beau ! [3]» Le proclamer, tel est son bonheur ! Il a dit : «  On a besoin de jeunes heureux et forts, humbles et courageux, tenaces et intrépides, rendant témoignage au Christ avec conviction. [4]» Tel est le secret de sa propre jeunesse.

      Il parle d’une nouvelle génération d’apôtres, de la race de ceux des derniers temps : il en est le premier !

      Il sait sur les traces de Qui il marche… il vole !

 

       « La plus grande aspiration de l’Eglise est de donner une voix à ceux qui souffrent. Pour cette raison, le Pape doit voyager, comme l’on fait les premiers évangélisateurs de l’Histoire, les Apôtres. [5]»

 

       L’  Afrique  combien il l’aime !… Il y vient et y revient, encore et encore et prête ses lèvres à son cri : le cri des pères et des mères qui ont vu mourir leurs enfants. Dès sa première virée :

«  Moi, Jean- Paul II, j’élève ma voix suppliante : je ne peux me taire quand mes frères sont menacés. Ici, je me fais la voix de ceux qui n’ont pas de voix, la voix des innocents qui sont morts : l’eau, le pain leur manquaient… »

       En février 1992, île de Gorée. Regardez-le, la tête appuyée contre une porte du poste de garde de la Maison des esclaves !

« Je suis venu écouter le cri des siècles et des générations d’Africains esclaves. Je suis venu rendre hommage à toutes ces victimes inconnues. ! »

      Partout, il rend courage, tonifie, stimule. Aux chrétiens persécutés du Soudan Sud, dans la cathédrale de Khartoum :

« Avec admiration et un sens intense de gratitude pour notre Père du Ciel, à cause de votre fidélité, je vous encourage à rester fermes en un même Esprit, luttant de concert et d’un cœur unanime pour la foi de l’Evangile. » ( 10 février 1993)

Après sa visite au Malawi, les évêques trouvent le courage de dénoncer exactions et injustices, comme l’avait fait le cardinal Tomasek, à Prague, dès sa première rencontre avec le Pape.

     En Afrique, c’est lui qui a voulu les bains de foule, quitte à donner des sueurs froides à ses gardes du corps ! Et qui a tenu à ce que la liturgie soit bien africaine  ( au Kenya, en 1980, il n’avait pas aimé que la majorité des chants soit en latin et en anglais) :

« Tout ce qui est bon et vrai peut être accepté, afin que le mystère chrétien puisse s’exprimer selon le génie africain. » (Cotonou, 3 février 1993)

 

Conforter ses frères dans le bonheur de croire

 

      Puisque c’est le travail de Pierre de « confirmer ses frères dans la foi » ; voilà donc son programme de mission. Il est apôtre et prophète, prophète à la parole écoutée, à la vérité non édulcorée

Au nom de tous, il clame la foi de tous. Apôtre, il proclame la foi des Apôtres. Il amplifie, développe, précise, et répercute le premier cri du cœur de Paul : «  Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ! » Celui de  Pierre : «  Le Fils de Dieu vivant, c’est toi ! » Celui de  Jean : «  C’est le Seigneur ! «  Finalement, il ne dit rien d’autre… Partout où il passe, le voilà qui ranime, tonifie,  creuse la foi du peuple de Dieu.

La vérité ! Il refuse de la voir confisquée par des pseudo-théologiens, récupérée par les sectes, pervertie par les médias, prostituée par les idéologies, dénaturée par des compromis, minée par la suspicion, déviée par le doute. Ça jamais !

    Il n’en laisse perdre aucune pépite, n’en jette pas une miette, n’en livre aux pourceaux pas une perle. Si pépites et perles sont égarées, il les restitue à leur plénitude, les rapatrie, dans l’Eglise, les rend à Dieu, les ramène à l’Evangile. Oui, comme personne, il veille sur la foi reçue des Apôtres.

    Avec la jalousie de l’amour. Avec la joie de qui aime. « La Charité se réjouit avec la Vérité. : ce mot de Paul, qui donc comme lui en vit, en exulte ?

    Avec le psalmiste, il peut s’exclamer :

     « Je n’ai pas caché ta vérité à la grande assemblée ! [6]» (Ps 39)

    Avec Paul : «  je ne me suis pas dérobé quand il fallait vous prêcher et vous instruire, en public et en privé, adjurant Juifs et Grecs de croire en Jésus. » ( Ac 20,21)

   Avec Pierre : «  je crois juste tant que je sui dans cette tente de vous tenir en éveil par mes rappels, pour que vous soyez affermis dans la vérité. » ( 2P 1,12)

   Avec Jean : «  Apprendre que mes enfants vivent dans la Vérité, rien ne me donner une telle joie ! » ( 3 Jn 3)

 

   Joie pour lui de voir les jeunes suspendus à sa Parole : sur ses lèvres, la Parole n’est pas édulcorée ! Par un instinct baptismal, ils le sentent.

 

Crier Jésus par toute la terre

 

    Surtout, il veut annoncer Jésus. Ni plus ni moins. Bref, évangéliser. Crier partout qu’il est l’unique  Sauveur. Cela il le fait dans toutes les circonstances. Dans le stade de Casablanca, devant 60 000 jeunes musulmans et la famille royale du Maroc. Il donne son témoignage personnel, avec –tant de délicatesse que tous en sont touchés. Il n’impose pas sa foi, il la propose. Il en montre la splendeur. Il en décline le bonheur.

   En vol vers le Japon, un journaliste – il me l’a raconté lui-même, dit : «  Saint Père, vous savez, au Japon, il n’y a même pas 1% de catholiques, il n’y aura pas de grandes foules pour vous accueillir. «  Mais lui : » Moi, je veux voir tous les Japonais ! » Et le journaliste de penser : il rêve ! Effectivement, c’est simplement un représentant du gouvernement qui l’accueille. Le deuxième jour,  à une rencontre avec les évêques, un animateur de télévision nationale qui dirige un programme de chansons de variétés : » Saint Père, je vous invite, demain soir, car c’est l’émission la plus suivie par tous les Japonais. » Il fait changer illico son programme, bien que les évêques le lui déconseillaient. Des chansons de variété, cela ne convient pas pour un pape ! Sur le plateau, une très populaire chanteuse l’accueille. Le Saint Père, très touché, esquisse quelques pas de danse avec elle. Et puis, en profite pour parler de Jésus. Des millions de japonais ont été bouleversés par sa simplicité, son cœur d’enfant, et certains ont demandé le baptême après cela. Il a fait plus en une émission de télévision que les missionnaires pendant quatre siècles, m’a confié l’un d’entre eux.

Un enfant de chœur lui demande : «  Pourquoi, que tu fais le tour du monde ? »

-«  As – tu lu ce que Jésus a dit : Allez et portez l’Evangile au monde entier ? »

 

Avec Paul,  comme Jean, autour de l’Agneau

 

    Tout cela, il le vit dans la prière. Ni touriste, ni globe trotter ; simplement pèlerin, pauvre, humble, fragile. Que de fioretti de sa vie de prière en voyage !

    Au dessus de l’océan indien, il est en train de dire ses vêpres. Le secrétaire d’Etat : «  Saint Père, nous venons de recevoir un message urgent du Vatican. »

    « Est-ce que c’est vraiment urgent ? »

    «  Oui, très urgent ! »

    « Bon, alors, continuons la prière ! » La prière avant tout, quelles que soient les urgences, c’est tout lui.

 

    Il n’a jamais manqué une seule fois son chemin de croix, où qu’il soit dans le monde. Un jour, il est en Suisse, dans une abbaye, on lui accorde une demi-heure de sieste. Puis, à 15 heures, on va le chercher, on frappe à la porte. Pas de réponse. On ouvre la porte, pas de Saint Père, pas de pape. Cela rappelle l’Evangile, on cherche Jésus qui a disparu. Panique, on appelle la sécurité, on s’apprête à partir en hélicoptère, peut-être il a été kidnappé. Enfin, c’est la panique. Et, après avoir cherché partout, on le retrouve au troisième étage du monastère, à genoux devant une station du chemin de croix. C’était vendredi trois heures. Il avait découvert un petit chemin de croix dans ce couloir.

    En septembre 96, rentrant d’une journée épuisante à Ste Anne d’Auray, il demande à Mgr Honoré de le laisser seul dans la chapelle des sœurs qui l’hébergent. Une heure plus tard, il le surprend agenouillé à la dernière station du chemin de croix. C’était Vendredi soir.

Autour de qui donc rassemble t-il des foules comme jamais vues dans toute l’histoire de l’humanité ? Autour de lui –même ? Jamais ! Toujours et exclusivement, autour de son Seigneur. L’essentiel , le but suprême, le point culminant de chacun de ses pèlerinages : l’Eucharistie. ( En Roumanie, en 3 jours : 3 eucharisties de 3 heures chacune !) Tous, cathos ou non, chrétiens ou non, croyants ou non ( parfois simples curieux ou observateurs ), sont là, autour de l’unique autel, et finalement de l’unique Agneau de Dieu.

Le petit pâtre siffle, les brebis se rassemblent : il leur présente leur unique Berger. Lui –même est alors enfant de Dieu avec et parmi les siens : agenouillé, adorant son Seigneur, avec eux, pour eux.

    « J’ai pu célébrer la Messe dans des chapelles situées sur des sentiers de montagne, au bord des lacs, sur les rives de la mer ; je l’ai célébrée sur des autels bâtis dans les stades, sur les places des villes… Ces acres si divers de mes Célébrations  eucharistiques me font fortement ressentir leur caractère universel et pour ainsi dire cosmique. »

                                             

 

    N’avait –il pas un jour écrit : «  Je suis un pèlerin sur les chemins escarpés de la terre. Je ne puis détourner ma pensée de ton visage que le monde ne me révèle pas. »( Poèmes)

   Oui, il ne peut être et Pierre confirmant ses frères, et Paul clamant partout Jésus, qu’en étant d’abord Jean, auscultant le cœur de son Seigneur.

 

 

L’étincelle embrasant le monde.

 

    Catherine de Sienne, qu’il déclarait plus actuelle aujourd’hui qu’en son temps, priait : «  Tu nous as donné au temps du besoin la lumière des apôtres, maintenant ce temps où nous avons le plus grand besoin de lumière, ressuscite un Paul qui  illumine le monde ! » Eh bien, n’est – ce pas lui, notre Jean Paul, qui a littéralement illuminé le monde de la lumière du Christ ?

En vérité, il a été Paul le fougueux, l’intrépide, le passionné, toujours pressé par l’Amour : pressé de faire aimer l’Amour. Toujours tendu de tout son être vers ce qui est en avant : les temps  se font courts !

Ne peut – on lui appliquer les mots que la liturgie met sur les lèvres du Précurseur ? «  Le Seigneur m’a dit : ce n’est pas assez que tu sois mon serviteur pour ramener les rescapés d’Israël. Je vais faire de toi la lumière des nations, pour que mon Sauveur parvienne jusqu’aux extrémités de la terre ! »  ( Is 49,6)

 

    Jean-Paul II, lors de son extraordinaire homélie pour la consécration de la basilique de la Miséricorde à Krakow, le 14 août 2002, a osé citer le Seigneur confiant à Sainte Faustyna : « De la Pologne sortira l’étincelle qui préparera le monde à mon ultime venue »
            Pour moi, cette étincelle, c’est le petit Karol-Lolek, de Katowice. N’a-t-il pas réalisé ce mot de Catherine de Sienne, qu’il lançait aux deux millions de jeunes du monde entier massés à Tor Vergata, au cœur du grand Jubilé 2000 : « Si vous êtes ce que vous devez être, vous allumerez le feu dans le monde entier ». Cette étincelle, il l’a été. Ce feu, il l’a allumé. Parce que d’abord, il s’en est laissé brûler. Laissons-nous brûler à notre tour…

 

Les plus fortes de ses ultimes paroles : sang et larmes, souffle et silence.

 

Toutes ses exhortations, directives, enseignements sur la mission et la nouvelle évangélisation s’enracinent donc dans sa propre expérience. Ni mots en l’air, ni belles théories, il les a véritablement vécus, dans sa chair.

 

    Mais il les a toutes signées, scellées, par 4 cris silencieux :

 

        * son sang : il a un jour déclaré : «  les mots ne suffisent plus, il y faut le sang ». Et il l’a versé abondamment, lors de l’attentat du 13 Mai, et pendant la dizaine d’interventions chirurgicales à Gemelli.

 

      * ses larmes : lorsqu’il éclate en sanglots, au Yad Vashem ou dans la grotte de Lourdes, lors de son ultime pèlerinage, et enfin durant les dernières journées de son impuissance totale à communiquer.

 

       * son souffle :  chaque respiration, entre deux phrases prononcées au prix d’un tel effort.

       « Il y en a trois à témoigner : le sang, l’eau ( larmes) et le souffle- Esprit. » ( 1 Jn 5)

 

        Il a mêlé son sang et ses larmes à ceux de Jésus pour répandre l’Esprit de Jésus. Ces trois cris ont été l’ultime témoignage rendu à Jésus. Trois cris, tous les 3 silencieux, comme le Cœur ouvert de Jésus. Trois cris, partant du cœur et touchant le cœur, comme aucune parole ne pouvait le faire. Et comme si ces trois ne suffisaient pas : voici son silence, la parole la plus éloquente de toute sa vie. Signature de toutes  les autres. Je l’au vu à Saint Jean de Latran, deux semaines avant sa Pâques. Sa seule bénédiction en silence avait suffit à plonger des 400 jeunes romains, dans un silence total d’adoration. Sur l’Autel, l’Agneau eucharistique. Et à côté, sur grand écran, Jean Paul II, lui aussi silencieusement exposé à n os regards, devenu tout entier agneau immolé, et offert. Il avait rassemblé le monde autour de l’Eucharistie. Le voilà devenu vivante Eucharistie, pour la vie du monde.[7]

        Pour que Jésus soit connu et aimé, de la terre il n’a pas seulement fait le tour, il a été jusqu’au bout de l’amour. Il a donné tout, jusqu’à la dernière seconde de souffle, jusqu’à l’ultime battement de cœur.

Et de même que le Cœur transpercé de Jésus a été la source du torrent non-stop des eaux vives de l’Esprit, ainsi, la Pâques de Jean – Paul II blessant l’Eglise au cœur, a déclenché ce fabuleux Tsunami spirituel. Cette effusion pentecostale sur le monde : la plus grande de toutes ses missions. Inaugurant sa mission céleste, dont la terrestre n’était qu’un premier Acte, ou plutôt une répétition générale.                 Maintenant qu’il n’est plus limité par l’espace, le temps, ou le physique, (qu’il n’ira plus jamais à Gemelli), qu’il est entré dans son éternelle jeunesse, donc plus sportif que jamais ( !) , plus rien ne l’arrêtera, ne le contraindra, ne le freinera. Le voilà missionnaire pour l’éternité ! Ou plutôt, jusqu’au retour glorieux du Christ, qu’il a tant préparé, désiré, hâté !

 

 

 

[1] :A Maritube ( NE du Brésil ), les lépreux : «  Vive la sueur du pape ! »

[2] Je donne des exemples précis, dans mon :  Jean Paul II, don de Dieu. Pp 16,ss

[3] Lyon, 1985

[4] Journée missions, 1988

[5] Le 10 septembre 1988, lors de son envol vers l’Afrique.

[6] : Son pseudonyme de jeune poète n’était –il pas «  Jawiem » : «  celui qui dévoile la vérité » ? – « Si la vérité est en moi, elle doit éclater. Je ne peux la nier, au risque de me nier moi-même ». Œuvre poétique.

[7] : dernière des 14 encycliques et des 44 lettres apostoliques : l’Eucharistie. Dernière année : l’Eucharistie. Dernière veillée – jeunes : sur l’Eucharistie. Dernier acte : l’Eucharistie

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Jean Paul II, God-Trotter

 

ou saint Paul aujourd’hui

 

 

            Jean Paul II a été, par excellence, le missionnaire du monde, vu l’ampleur universelle que donnait à son ministère le fait d’être pape et celui d’être ultra-médiatisé  . Il a été le plus grand évangélisateur de tous les temps, du moins, jusqu’à présent..

            Fait absolument prodigieux, aucun homme dans l’histoire de l’humanité n’a jamais été autant connu. Et par toute la terre pendant plus d’un quart de siècle.

            Pour faire saisir l’importance vitale pour le monde de ce ministère itinérant, il s’est souvent  référé à Paul. En vérité, il a été l’apôtre des Nations de ce tournant-charnière d’un millénaire à l’autre.

            Il a été Pierre, en visitant 308 des 333 paroisses de sa cité. Mais Paul en visitant des cités par milliers de par le monde.

            Paul VI avait déjà frayé la route, avec les tout premiers voyages pontificaux inter-continentaux. Jean- Paul II s’y engouffre, allant jusqu’au bout de ses possibilités. Il fait 29 fois le tour du globe, soit 8 fois la distance de la terre à la lune, totalise  1 million de kms, parcourant 130 pays en 104 voyages apostoliques, visite 620 villes. ( Certains l’en taquinaient : essayez de passer de temps en temps…  à Rome, entre deux vols ! »)

            Et, s’il n’y avait son devoir d’Etat au Vatican même, s’il n’y avait toutes les contraintes que l’on sait, il aurait été encore bien plus souvent sur les routes.

            Une des grandes souffrances de sa vie : devoir si souvent décliner des invitations, parfois importantes. Et, l’un de ses plus grands renoncements durant les dernières années : devoir ralentir son rythme, vu sa santé déclinante. Encore que même alors, il ira jusqu’au bout de ses forces, visitant encore : Kazaksthan, Georgie, Slovaquie, Espagne, Bulgarie, Suisse, jusqu’à son ultime pèlerinage à Lourdes, alors même que c’était humainement de la folie et que son entourage essayait de l’en dissuader. Ce fut typique quand après les JMJ de Toronto, malgré les conseils contraires, il tient absolument à passer et à Mexico et au Salvador  ( renonçant  tristement seulement à New York où il voulait prier à l’emplacement des deux tours et cela juste avant son 9ème pèlerinage en Pologne. !

            Il a fallu vraiment qu’il soit terrassé par la maladie pour ne plus bouger pendant les derniers mois, si ce n’est pour la clinique Gemelli.

 

L’intense préparation

 

            Partir à la légère ? Jamais ! Préparer et se préparer, des mois à l’avance.

 

            Il s’en donne une peine énorme. Pendant un de ses voyages aux Etats Unis, il fait 55 discours différents sur une semaine. Chaque discours complètement différent de l’autre mais tous se complètent pour former un tout. Au Canada, de l’Atlantique au Pacifique. Chaque jour, il prend un thème différent. On publie l’ensemble ( aux jeunes, au corps diplomatique, aux autres chrétiens, aux politiques, aux prêtres, aux religieuses …) , cela constitue  toute une catéchèse adaptée à la situation politique, économique, sociale, ecclésiale du pays.

            Les langues qu’il ne comprend pas couramment, il veut les connaître un petit peu, pour au moins dire quelques phrases. ( Je connais un prêtre indien qui a été convoqué pour lui donner dix leçons d’un des 8 dialectes qu’il devait parler en Inde .) Après le déjeuner, il met la cassette de la messe dans ces langues pour se pénétrer de la prononciation et des accents. Donc un travail inimaginable pour chacun de ses voyages.

 

            En route

            Il «  épuise » son entourage, surtout les premières années.

            Mai 1979. Premier voyage en Afrique : gigantesque tournée au Zaïre, Congo-Brazza-Kenya, Ghana. A la fin le groupe de journalistes ainsi que sa suite sont complètement épuisés, incapables de suivre son rythme. Le dernier jour, il lance à une équipe de télé allemande : «  Alors les gars, toujours en vie ? » Et à ses collègues de la curie : » Ne vous en faites pas, pour changer, nous passerons Noël dans la neige à Terminillo.  ( célèbre station de ski des Abruzzes) »[1]

           

Toujours prêt à tout

 

       Rien ne lui fait peur. Rien ne l’arrête. Rien ne le retient. Pas une difficulté, pas un problème. Pas un risque. Les lieux les plus dangereux, les contextes les plus délicats, les situations les plus critiques, il les affronte. En face. Il va sur place. Tête baissée ? Mais non ! Tête lucide, cœur embrasé. On le dirait sûr de lui, mais non ! Sûr de Dieu. Lui qui l’envoie, le délègue, l’inspire et le soutient.

La Russie soviétique menace d’envahir la Pologne ? Il gronde :

 

       «  Si jamais l’armée soviétique mettait en œuvre son offensive contre le peuple polonais, je me rendrais moi-même en Pologne et j’inviterais 100 000 Polonais avec moi sur les frontières menacées. Je vous assure qu’il suffirait d’élever 100 000 icônes de la Vierge devant la puissance des troupes soviétiques pour mettre un terme définitif à cette invasion.

(Radio Vatican 22 mars 1981)

 

        Angleterre et Argentine sont en guerre ? Il s’y précipite, un pays après l’autre. Aussi bien reçu par l’un que par l’autre.

Haïti gémit sous la botte de Duvalier ? Il se campe devant lui et lance : «  Il faut que ça change ! » Et voilà le changement déclenché ! Le régime du Soudan massacre les chrétiens du Sud ? Le voilà à Karthoum : «   Cesse de détruire l’homme, c’est ton frère ! »

 La mafia multiplie ses crimes ? Le voilà à Palerme, au cœur de leur fief, piquant la colère de Jésus : «  Vous aurez à répondre du sang versé !  Vous serez jugés ! »

Moscou l’empêche encore d’aller en Lituanie ? Il se rapproche de la frontière : «   O Lituanie, j’entends ta voix, j’entends ton appel ! »  Et il finit par y arriver : Vilnius l’acclame le 4 septembre 1993.

     Toujours prêt aux imprévus : Havel l’invite  de façon impromptue à Prague, il s’y précipite. L’Albanie s’ouvre : il y fonce. Depuis cinquante ans, n’est –il pas attendu ?

Beyrouth et Jérusalem : il y v    a aussi. Restaient Moscou, Hanoï, Pékin c’était son rêve. Benoît XVI pourrait –il y aller ?

 

Rencontrer sa famille là où elle vit.

       

    Mais pourquoi donc s’épuiser ainsi à parcourir le monde ?  Bien souvent, devant les critiques, il s’en est expliqué. D’abord, pour rencontrer chez eux, sur place, les siens, tel un bon père de famille qui visite ses enfants là où ils vivent, ne se contentant pas de les accueillir chez lui. Il veut les voir, dans leur contexte national, social, géographique.

« Le Pape a le devoir de maintenir l’unité et l’universalité de l’Eglise. A notre époque, pareille tâche peut se réaliser plus facilement par la visite, la rencontre, le contact, l’écoute, la participation. »

«  Enfant, j’étais grand marcheur. Puis, je suis devenu grand voyageur, et j’espère continuer de l’être. Je dois faire encore un assez long chemin, et j’espère rencontrer de nombreuses personnes et en être plus proche. Je cherche à le faire toujours dans la prière. Mais la visite pastorale est un moment privilégié parce que je peux vous toucher, vous embrasser. »

 

Guérir les peuples, les remettre debout.

Mais, que fait – il donc partout ?

Les peuples, il vient les conforter, les stimuler, leur rendre courage et confiance. Leur insuffler un élan neuf., il vient  réveiller leur mémoire nationale, les remettre debout, les rendre à leurs racines historiques, restituer leur dignité, leur fierté, rappeler leurs dynasties de saints, sonner le tocsin des urgences, ouvrir les chemins de l’Evangile.

Partout, il a l’art de retourner les situations, de redresser de l’intérieur dérives et déviances, de les orienter vers la source de Vérité. [2]

 

Jusqu’au bout : et de la terre et de son cœur.

 

      Il a dit : «  Les pauvres ont droit à la totalité de l’Evangile » :  aux pauvres de Dieu, il ne cesse d’offrir  Jésus en sa plénitude d’amour et de vérité. Il a dit : «   Savoir parler de Dieu, que c’est beau ! [3]» Le proclamer, tel est son bonheur ! Il a dit : «  On a besoin de jeunes heureux et forts, humbles et courageux, tenaces et intrépides, rendant témoignage au Christ avec conviction. [4]» Tel est le secret de sa propre jeunesse.

      Il parle d’une nouvelle génération d’apôtres, de la race de ceux des derniers temps : il en est le premier !

      Il sait sur les traces de Qui il marche… il vole !

 

       « La plus grande aspiration de l’Eglise est de donner une voix à ceux qui souffrent. Pour cette raison, le Pape doit voyager, comme l’on fait les premiers évangélisateurs de l’Histoire, les Apôtres. [5]»

 

       L’  Afrique  combien il l’aime !… Il y vient et y revient, encore et encore et prête ses lèvres à son cri : le cri des pères et des mères qui ont vu mourir leurs enfants. Dès sa première virée :

«  Moi, Jean- Paul II, j’élève ma voix suppliante : je ne peux me taire quand mes frères sont menacés. Ici, je me fais la voix de ceux qui n’ont pas de voix, la voix des innocents qui sont morts : l’eau, le pain leur manquaient… »

       En février 1992, île de Gorée. Regardez-le, la tête appuyée contre une porte du poste de garde de la Maison des esclaves !

« Je suis venu écouter le cri des siècles et des générations d’Africains esclaves. Je suis venu rendre hommage à toutes ces victimes inconnues. ! »

      Partout, il rend courage, tonifie, stimule. Aux chrétiens persécutés du Soudan Sud, dans la cathédrale de Khartoum :

« Avec admiration et un sens intense de gratitude pour notre Père du Ciel, à cause de votre fidélité, je vous encourage à rester fermes en un même Esprit, luttant de concert et d’un cœur unanime pour la foi de l’Evangile. » ( 10 février 1993)

Après sa visite au Malawi, les évêques trouvent le courage de dénoncer exactions et injustices, comme l’avait fait le cardinal Tomasek, à Prague, dès sa première rencontre avec le Pape.

     En Afrique, c’est lui qui a voulu les bains de foule, quitte à donner des sueurs froides à ses gardes du corps ! Et qui a tenu à ce que la liturgie soit bien africaine  ( au Kenya, en 1980, il n’avait pas aimé que la majorité des chants soit en latin et en anglais) :

« Tout ce qui est bon et vrai peut être accepté, afin que le mystère chrétien puisse s’exprimer selon le génie africain. » (Cotonou, 3 février 1993)

 

Conforter ses frères dans le bonheur de croire

 

      Puisque c’est le travail de Pierre de « confirmer ses frères dans la foi » ; voilà donc son programme de mission. Il est apôtre et prophète, prophète à la parole écoutée, à la vérité non édulcorée

Au nom de tous, il clame la foi de tous. Apôtre, il proclame la foi des Apôtres. Il amplifie, développe, précise, et répercute le premier cri du cœur de Paul : «  Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ! » Celui de  Pierre : «  Le Fils de Dieu vivant, c’est toi ! » Celui de  Jean : «  C’est le Seigneur ! «  Finalement, il ne dit rien d’autre… Partout où il passe, le voilà qui ranime, tonifie,  creuse la foi du peuple de Dieu.

La vérité ! Il refuse de la voir confisquée par des pseudo-théologiens, récupérée par les sectes, pervertie par les médias, prostituée par les idéologies, dénaturée par des compromis, minée par la suspicion, déviée par le doute. Ça jamais !

    Il n’en laisse perdre aucune pépite, n’en jette pas une miette, n’en livre aux pourceaux pas une perle. Si pépites et perles sont égarées, il les restitue à leur plénitude, les rapatrie, dans l’Eglise, les rend à Dieu, les ramène à l’Evangile. Oui, comme personne, il veille sur la foi reçue des Apôtres.

    Avec la jalousie de l’amour. Avec la joie de qui aime. « La Charité se réjouit avec la Vérité. : ce mot de Paul, qui donc comme lui en vit, en exulte ?

    Avec le psalmiste, il peut s’exclamer :

     « Je n’ai pas caché ta vérité à la grande assemblée ! [6]» (Ps 39)

    Avec Paul : «  je ne me suis pas dérobé quand il fallait vous prêcher et vous instruire, en public et en privé, adjurant Juifs et Grecs de croire en Jésus. » ( Ac 20,21)

   Avec Pierre : «  je crois juste tant que je sui dans cette tente de vous tenir en éveil par mes rappels, pour que vous soyez affermis dans la vérité. » ( 2P 1,12)

   Avec Jean : «  Apprendre que mes enfants vivent dans la Vérité, rien ne me donner une telle joie ! » ( 3 Jn 3)

 

   Joie pour lui de voir les jeunes suspendus à sa Parole : sur ses lèvres, la Parole n’est pas édulcorée ! Par un instinct baptismal, ils le sentent.

 

Crier Jésus par toute la terre

 

    Surtout, il veut annoncer Jésus. Ni plus ni moins. Bref, évangéliser. Crier partout qu’il est l’unique  Sauveur. Cela il le fait dans toutes les circonstances. Dans le stade de Casablanca, devant 60 000 jeunes musulmans et la famille royale du Maroc. Il donne son témoignage personnel, avec –tant de délicatesse que tous en sont touchés. Il n’impose pas sa foi, il la propose. Il en montre la splendeur. Il en décline le bonheur.

   En vol vers le Japon, un journaliste – il me l’a raconté lui-même, dit : «  Saint Père, vous savez, au Japon, il n’y a même pas 1% de catholiques, il n’y aura pas de grandes foules pour vous accueillir. «  Mais lui : » Moi, je veux voir tous les Japonais ! » Et le journaliste de penser : il rêve ! Effectivement, c’est simplement un représentant du gouvernement qui l’accueille. Le deuxième jour,  à une rencontre avec les évêques, un animateur de télévision nationale qui dirige un programme de chansons de variétés : » Saint Père, je vous invite, demain soir, car c’est l’émission la plus suivie par tous les Japonais. » Il fait changer illico son programme, bien que les évêques le lui déconseillaient. Des chansons de variété, cela ne convient pas pour un pape ! Sur le plateau, une très populaire chanteuse l’accueille. Le Saint Père, très touché, esquisse quelques pas de danse avec elle. Et puis, en profite pour parler de Jésus. Des millions de japonais ont été bouleversés par sa simplicité, son cœur d’enfant, et certains ont demandé le baptême après cela. Il a fait plus en une émission de télévision que les missionnaires pendant quatre siècles, m’a confié l’un d’entre eux.

Un enfant de chœur lui demande : «  Pourquoi, que tu fais le tour du monde ? »

-«  As – tu lu ce que Jésus a dit : Allez et portez l’Evangile au monde entier ? »

 

Avec Paul,  comme Jean, autour de l’Agneau

 

    Tout cela, il le vit dans la prière. Ni touriste, ni globe trotter ; simplement pèlerin, pauvre, humble, fragile. Que de fioretti de sa vie de prière en voyage !

    Au dessus de l’océan indien, il est en train de dire ses vêpres. Le secrétaire d’Etat : «  Saint Père, nous venons de recevoir un message urgent du Vatican. »

    « Est-ce que c’est vraiment urgent ? »

    «  Oui, très urgent ! »

    « Bon, alors, continuons la prière ! » La prière avant tout, quelles que soient les urgences, c’est tout lui.

 

    Il n’a jamais manqué une seule fois son chemin de croix, où qu’il soit dans le monde. Un jour, il est en Suisse, dans une abbaye, on lui accorde une demi-heure de sieste. Puis, à 15 heures, on va le chercher, on frappe à la porte. Pas de réponse. On ouvre la porte, pas de Saint Père, pas de pape. Cela rappelle l’Evangile, on cherche Jésus qui a disparu. Panique, on appelle la sécurité, on s’apprête à partir en hélicoptère, peut-être il a été kidnappé. Enfin, c’est la panique. Et, après avoir cherché partout, on le retrouve au troisième étage du monastère, à genoux devant une station du chemin de croix. C’était vendredi trois heures. Il avait découvert un petit chemin de croix dans ce couloir.

    En septembre 96, rentrant d’une journée épuisante à Ste Anne d’Auray, il demande à Mgr Honoré de le laisser seul dans la chapelle des sœurs qui l’hébergent. Une heure plus tard, il le surprend agenouillé à la dernière station du chemin de croix. C’était Vendredi soir.

Autour de qui donc rassemble t-il des foules comme jamais vues dans toute l’histoire de l’humanité ? Autour de lui –même ? Jamais ! Toujours et exclusivement, autour de son Seigneur. L’essentiel , le but suprême, le point culminant de chacun de ses pèlerinages : l’Eucharistie. ( En Roumanie, en 3 jours : 3 eucharisties de 3 heures chacune !) Tous, cathos ou non, chrétiens ou non, croyants ou non ( parfois simples curieux ou observateurs ), sont là, autour de l’unique autel, et finalement de l’unique Agneau de Dieu.

Le petit pâtre siffle, les brebis se rassemblent : il leur présente leur unique Berger. Lui –même est alors enfant de Dieu avec et parmi les siens : agenouillé, adorant son Seigneur, avec eux, pour eux.

    « J’ai pu célébrer la Messe dans des chapelles situées sur des sentiers de montagne, au bord des lacs, sur les rives de la mer ; je l’ai célébrée sur des autels bâtis dans les stades, sur les places des villes… Ces acres si divers de mes Célébrations  eucharistiques me font fortement ressentir leur caractère universel et pour ainsi dire cosmique. »

                                             

 

    N’avait –il pas un jour écrit : «  Je suis un pèlerin sur les chemins escarpés de la terre. Je ne puis détourner ma pensée de ton visage que le monde ne me révèle pas. »( Poèmes)

   Oui, il ne peut être et Pierre confirmant ses frères, et Paul clamant partout Jésus, qu’en étant d’abord Jean, auscultant le cœur de son Seigneur.

 

 

L’étincelle embrasant le monde.

 

    Catherine de Sienne, qu’il déclarait plus actuelle aujourd’hui qu’en son temps, priait : «  Tu nous as donné au temps du besoin la lumière des apôtres, maintenant ce temps où nous avons le plus grand besoin de lumière, ressuscite un Paul qui  illumine le monde ! » Eh bien, n’est – ce pas lui, notre Jean Paul, qui a littéralement illuminé le monde de la lumière du Christ ?

En vérité, il a été Paul le fougueux, l’intrépide, le passionné, toujours pressé par l’Amour : pressé de faire aimer l’Amour. Toujours tendu de tout son être vers ce qui est en avant : les temps  se font courts !

Ne peut – on lui appliquer les mots que la liturgie met sur les lèvres du Précurseur ? «  Le Seigneur m’a dit : ce n’est pas assez que tu sois mon serviteur pour ramener les rescapés d’Israël. Je vais faire de toi la lumière des nations, pour que mon Sauveur parvienne jusqu’aux extrémités de la terre ! »  ( Is 49,6)

 

    Jean-Paul II, lors de son extraordinaire homélie pour la consécration de la basilique de la Miséricorde à Krakow, le 14 août 2002, a osé citer le Seigneur confiant à Sainte Faustyna : « De la Pologne sortira l’étincelle qui préparera le monde à mon ultime venue »
            Pour moi, cette étincelle, c’est le petit Karol-Lolek, de Katowice. N’a-t-il pas réalisé ce mot de Catherine de Sienne, qu’il lançait aux deux millions de jeunes du monde entier massés à Tor Vergata, au cœur du grand Jubilé 2000 : « Si vous êtes ce que vous devez être, vous allumerez le feu dans le monde entier ». Cette étincelle, il l’a été. Ce feu, il l’a allumé. Parce que d’abord, il s’en est laissé brûler. Laissons-nous brûler à notre tour…

 

Les plus fortes de ses ultimes paroles : sang et larmes, souffle et silence.

 

Toutes ses exhortations, directives, enseignements sur la mission et la nouvelle évangélisation s’enracinent donc dans sa propre expérience. Ni mots en l’air, ni belles théories, il les a véritablement vécus, dans sa chair.

 

    Mais il les a toutes signées, scellées, par 4 cris silencieux :

 

        * son sang : il a un jour déclaré : «  les mots ne suffisent plus, il y faut le sang ». Et il l’a versé abondamment, lors de l’attentat du 13 Mai, et pendant la dizaine d’interventions chirurgicales à Gemelli.

 

      * ses larmes : lorsqu’il éclate en sanglots, au Yad Vashem ou dans la grotte de Lourdes, lors de son ultime pèlerinage, et enfin durant les dernières journées de son impuissance totale à communiquer.

 

       * son souffle :  chaque respiration, entre deux phrases prononcées au prix d’un tel effort.

       « Il y en a trois à témoigner : le sang, l’eau ( larmes) et le souffle- Esprit. » ( 1 Jn 5)

 

        Il a mêlé son sang et ses larmes à ceux de Jésus pour répandre l’Esprit de Jésus. Ces trois cris ont été l’ultime témoignage rendu à Jésus. Trois cris, tous les 3 silencieux, comme le Cœur ouvert de Jésus. Trois cris, partant du cœur et touchant le cœur, comme aucune parole ne pouvait le faire. Et comme si ces trois ne suffisaient pas : voici son silence, la parole la plus éloquente de toute sa vie. Signature de toutes  les autres. Je l’au vu à Saint Jean de Latran, deux semaines avant sa Pâques. Sa seule bénédiction en silence avait suffit à plonger des 400 jeunes romains, dans un silence total d’adoration. Sur l’Autel, l’Agneau eucharistique. Et à côté, sur grand écran, Jean Paul II, lui aussi silencieusement exposé à n os regards, devenu tout entier agneau immolé, et offert. Il avait rassemblé le monde autour de l’Eucharistie. Le voilà devenu vivante Eucharistie, pour la vie du monde.[7]

        Pour que Jésus soit connu et aimé, de la terre il n’a pas seulement fait le tour, il a été jusqu’au bout de l’amour. Il a donné tout, jusqu’à la dernière seconde de souffle, jusqu’à l’ultime battement de cœur.

Et de même que le Cœur transpercé de Jésus a été la source du torrent non-stop des eaux vives de l’Esprit, ainsi, la Pâques de Jean – Paul II blessant l’Eglise au cœur, a déclenché ce fabuleux Tsunami spirituel. Cette effusion pentecostale sur le monde : la plus grande de toutes ses missions. Inaugurant sa mission céleste, dont la terrestre n’était qu’un premier Acte, ou plutôt une répétition générale.                 Maintenant qu’il n’est plus limité par l’espace, le temps, ou le physique, (qu’il n’ira plus jamais à Gemelli), qu’il est entré dans son éternelle jeunesse, donc plus sportif que jamais ( !) , plus rien ne l’arrêtera, ne le contraindra, ne le freinera. Le voilà missionnaire pour l’éternité ! Ou plutôt, jusqu’au retour glorieux du Christ, qu’il a tant préparé, désiré, hâté !

 

 

 

[1] :A Maritube ( NE du Brésil ), les lépreux : «  Vive la sueur du pape ! »

[2] Je donne des exemples précis, dans mon :  Jean Paul II, don de Dieu. Pp 16,ss

[3] Lyon, 1985

[4] Journée missions, 1988

[5] Le 10 septembre 1988, lors de son envol vers l’Afrique.

[6] : Son pseudonyme de jeune poète n’était –il pas «  Jawiem » : «  celui qui dévoile la vérité » ? – « Si la vérité est en moi, elle doit éclater. Je ne peux la nier, au risque de me nier moi-même ». Œuvre poétique.

[7] : dernière des 14 encycliques et des 44 lettres apostoliques : l’Eucharistie. Dernière année : l’Eucharistie. Dernière veillée – jeunes : sur l’Eucharistie. Dernier acte : l’Eucharistie

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