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Jubilé d’or du « baiser de Paix de Jérusalem »

Paul VI –Athenagoras :

la Rencontre qui a fait basculer l’histoire.

 

 

                Notre Pape François, pour annoncer son pèlerinage en Terre Sainte, a choisi le jour même des 50 ans du « Baiser de Paix de Jérusalem », commet du tout premier des pèlerinages d’un Pape sur la terre sanctifiée par la Venue de Dieu en notre terre. Je m’en souviens comme si c’était hier.

 

L’ humble étreinte de l’Amour

 

                J’etais au fin fond de l°Afrique noire. Le 8 décembre 1963, nous voici l'oreille collée au transistor, captant la clôture liturgique de la session 2 de Vatican II. Tout à coup, Paul VI - tout jeune pape de sept mois - a la gorge serrée par l’émotion. Sa voix un instant se fait tremblante. Que va-t-il annoncer pour être bouleversé à ce point ? Le pape dans un mois sera à Jérusalem!   Inimaginable I Impensable!

                Aurait-on mal compris ? Aucun pape n'est sorti d'Italie depuis des siècles. Aucun de Rome depuis des lustres (à part Jean XXIII se risquant timidement en train jusqu'à Assise).

 

L'équivalent ecclésial de la chute du mur de Berlin

 

               Nul ne peut se faire idée de ce coup de foudre dans l'univers chrétien.  Absolument jamais Pierre n'était revenu d'où il venait : sur sa terre natale, originelle.   Le prisonnier du Vatican allait s'envoler comme un oiseau libéré. Cette première sortie va le propulser sur toutes les routes du monde. Premier pape en Boeing, Pau VI sera projeté dans l'atoll d”Opulu (6 O00 kilomètres de Sydney), à la tribune de l'ONU, via Kampala et Bogota. Jean Paul II n'aura qu'à s’engouffrer dans le sillage de ces premiers sprints apostoliques qui feront la joie des peuples. Il en deviendra le Paul d'aujourd'huí, l’Apôtre des nations. Mais cette mise sur orbite des papes se devait de commencer par un pèlerinage. Et un pèlerinage aux sources, à La Source. Et dans son sillage, voici et Jean-Paul II et Benoît, et François.

              Pierre retrouvant sa terre, et donc s'ouvrant à toute la terre : à lui seul, l'événement était d'ordre prophétique. Politique aussi : c'était avant la guerre des Six jours, dans une Jérusalem  dramatiquement coupée en deux par un mur pathétique, frère de celui de Berlin. Le passage stratégique y fut donc ouvert pour la première fois par le Pape !

              Mais ce n est pas tout. Un coup de foudre : deux séismes ! Deux murs qui s'écroulent !  Deux ères qui s'ouvrent, la seconde bien plus lourde de conséquences que la première. Car un deuxième acte s'ensuit, prophétique entre tous, celui-là. Et bien plus que prophétique : d'ordre eschatologique.

 

 

Une épiphanie prophétique

 

               A peine Paul VI  a t-il annoncé la nouvelle, qu'un autre homme prend la route, la même direction: celle de l'Orient, du soleil levant. Ce soir du 5 janvier, rentrant de sa virée en Galilée, le Pape catholique va rencontrer le Patriarche œcuménique.

En quel lieu ?  Rien de moins que la terre de Jésus. Et sur cette terre sainte entre toutes, rien de moins que la Cité des larmes et de la paix, celle de la Croix et de la Résurrection : Jérusalem !

               Et à Jérusalem, rien de moins que le mont des Oliviers, la douce colline et de l'Agonie et de l'Ascension. Et surtout déjà celle où il viendra dans sa gloire. Et en quel jour ? Rien de moins qu'en cette Vigile de l'Epiphanie?

En vérité, c'est une des plus belles manifestations de Charité divine, au cours des siècles. Manifestation  de pure beauté s'il en fut !  Brèche de lumière qui soudain s'0uvre dans un mur que l'on croyait de béton. L'équivalent ecclésial de la chute du mur de Berlin. Mais non  après 40 ans, mais après 1000 ans de séparation.[1]

              J'avais détecté l'épicentre du séisme qui a ébranlé tout le communisme. L'épiclèse de Jean-Paul II sur 2 millions de pèlerins à Cracovie 10 ans avant l'effondrement du mur de Berlin. Voici donc l'épicentre sismique qui fissure de part en part le mur érigé par nos péchés. Mur traversant de part en part sa cité sur terre : l'Eglise. Scindant en deux le peuple de Dieu ! Orient et Occident !

            Oui, après dix siècles de séparation, pour la toute-première fois, ils se retrouvent, s'étreignent, s'aiment, prient ensemble, les deux bergers! Ensemble, ils tournent leurs regards ver le jour béni entre tous, où nous pourrons enfin partager la même coupe. De ce jour tant attendu et désiré - par Dieu plus encore que par les hommes -, cet événement fut la radieuse aurore[2] !

 

Des guetteurs qui font advenir l'aurore

 

           De cette aurore qui s'ouvrait, ils sont  les sentinelles sur la montagne.  Áu terme d'une nuit séculaire, ils voient, annoncent, provoquent et anticipent l'aube tant attendue. Ainsi le chantait

magnifiquement Sa Sainteté Athénagoras :

              « Depuis des siècles, le monde chrétien vit la nuit de la séparation. Ses yeux se sont fatigués à regarder les ténèbres. Puisse cette rencontre être l'aube d”un jour lumineux et béni, où les générations futures, communiant au même calice du saint Corps et du précieux Sang du Seigneur, loueront et glorifieront dans la charité, la paix et 1'unité l'unique Seigneur et Sauveur du monde. ››

 

             Mais ce sera pour un de leurs successeurs[3]. François ? Qui sait ? Voilà donc André et Pierre, fondateurs des Sièges de Constantinople et de Rome, se retrouvant, tels que sur l’icône des « Agoi Adelphoi Apostoiai ›› (des saints frères apôtres) - peinte pour la circonstance par un moine de l'Athos - que le patriarche offre à son « bien-aimé et saint frère de Rome ››, et qui préside désormais à toutes les rencontres du Conseil pontifical pour l”unité. De son côté, le patriarche offre un encolpion (chaîne pectorale ornée d'une icône de la Panaghia, la Toute Sainte), insigne épiscopal de l’Eglise d,Orient. En le recevant, le regard de Paul VI s'illumine.[4]

            Et prophétiquement, Paul`VI de lui remettre un calice en or, « racine vivante de notre fraternité ››. A propos de ce calice, le patriarche déclarera :

            « Je souhaite ardemment que le pape Paul VI et moi mêlions un jour ensemble l'eau et le vin dans le calice. ››

 

Des confidences, des connivences, une intime confiance

 

        Mais on connaît moins ce qui a précédé : leurs tout-premiers mots,. Ce premier entretien devait rester strictement confidentiel. Nous n aurions Jamais dû le connaitre, mais par erreur - ou par chance -, les appareils enregistreurs de la télévision italienne avaient continué fonctionner. En voici quelques passages, dont la simplicité et la spontanéité laissent encore passer ce qui  fut leur intense émotion.[5]

 

  Le pape : -  «  Je vous dis toute ma joie, mon émotion. Vraiment, je pense que c'est un moment que nous vivons en présence de Dieu.

  Le patriarche : - «  En présence de Dieu. Je le répète. En présence de Dieu !

  Le pape : - « Et je n'ai d'autre pensée que celle de parler avec Dieu, tandis que je parle avec vous. »

  Le patriarche : -« Je suis profondément ému, Votre Sainteté. Les larmes me Viennent aux yeux... »

  Le pape : -« Et comme c'est un moment vraiment de Dieu, il faut qu'on le vive avec toute l'intensité, toute la rectitude et tout le désir... »

  Le patriarche : -« de pousser en avant... »

 Le pape : -«  En avant les voies de Dieu. Est-ce que Votre Sainteté a quelque aperçu, quelque désir auquel je peux correspondre ? »

  Le patriarche :- «  Nous avons le même désir ! »

  Le pape :-«  Voilà, nous sommes deux voies qui peut-être vont se rencontrer. »

  Le patriarche :-«  Nous avons le même désir. Dès que j'ai vu dans les journaux que vous aviez pris la décision de visiter ce pays, j'avais immédiatement pris 1'idée d'exprimer le désir de vous rencontrer ici et, j’en étais sûr, que de Votre Sainteté j'aurais la réponse...

  Le pape : -«  positive ! »

 Le patriarche :- «  positive, puisque j'ai confiance en Votre Sainteté, je vous vois, je vous vois, sans vous flatter, dans les Actes des Apôtres ; je vous vois dans les lettres de saint Paul, dont vous avez le nom ; je vous vois ici, oui, je vous vois dans... »

  Le pape : « Je vous parle en frère : sachez que j'ai la même confiance en vous. Je pense que la Providence vous a choisi pour pousser cette histoire. »

  Le patriarche :-«  Je pense que la Providence vous a choisi pour ouvrir le chemin de son... »

  Le pape :-«  La Providence nous a choisis pour nous entendre. »

  Le patriarche :-«  Les siècles vous attendaient. Les siècles, pour ce jour, ce grand jour... Quelle joie dans cette pièce, quelle joie dans le Sépulcre , quelle joie dans le Golgotha, quelle joie sur le chemin que vous avez suivi hier... »

  Le pape : -«  Je suis tellement rempli d'impressions, qu'il faudra beaucoup de temps pour laisser calmer et interpréter toute cette richesse d'émotions que j'ai dans l'esprit. Mais je veux profiter de ce moment pour vous dire la loyauté absolue avec laquelle je traiterai toujours avec vous. »

  Le patriarche : – « La même chose... »

  Le pape : - «  Je ne vous cacherai jamais la vérité... »

  Le patriarche : «  J'aurai toujours confiance... »

Le pape : -«  Je n'ai aucun désir de décevoir, de profiter de votre bonne volonté. Je ne désire d'autre chose que de suivre le chemin de Dieu. »

  Le patriarche : -«  J'ai une confiance absolue en Votre Sainteté. Absolue. Absolue. »

  Le pape : – «  J'essaierai toujours...

  Le patriarche : -«  Je serai toujours de votre côté... »

  Le pape :-«  J”essaierai toujours de ne pas manquer de la mériter. Que dès maintenant Votre Sainteté sache que je prierai tous les jours pour Votre Sainteté et pour les intentions communes que nous avons pour le bien de l’Eglise. »

Le patriarche : -«  Étant donné que nous avons ce grand moment, nous serons ensemble, nous marcherons ensemble. Que Dieu... Votre Sainteté, Votre grande Sainteté envoyée par Dieu, le pape au grand cœur... Vous savez comment je vous appelle ? « O megalocardos ››: le pape au grand cœur ! »

  Le pape :- «  Nous sommes de petits instruments. »

  Le patriarche : «  Il faut voir les choses comme ça. »

  Le pape  : -«  Plus petits nous sommes, et plus instruments nous sommes. »C'est-à-dire que l’action de Dieu doit prévaloir et doit être maîtresse dans toutes nos actions. De mon côté, je ne suis que dans la docilité, dans le désir d’être le plus obéissant à la volonté de Dieu, et d'être envers vous,

Sainteté, envers vos frères, envers votre milieu, le plus compréhensif possible.

  Le patriarche: -« Je le crois ! Sans le demander, je le crois. »

  Le pape : -« Je sais que c'est difficile. Je sais qu'il y a des susceptibilités, une mentalité... »

  Le patriarche :-«  ...qu'il y a une psychologie.. ».

  Le pape : - «  Mais je sais aussi... »

  Le patriarche : -«  ...des deux côtés... »

  Le pape : -« ...qu'il y a la grande rectitude et le désir d'aimer Dieu, de servir la cause de Jésus-Christ. C'est sur cela que je fais confiance. »

Le patriarche: -«  Sur cela que je fais confiance. Ensemble, ensemble. »

  Le pape : - «  Je ne sais pas si c'est le moment, mais je vois ce qu'il y aurait à faire, c'est-à-dire à étudier ensemble ou déléguer à quelqu'un qui...

  Le patriarche : -«  ...des deux côtés... »

  Le pape : - «  Et je désirerais savoir quelle est l’idée de Votre Sainteté, de votre Eglise, sur la constitution de l'Eglise. C'est le premier pas... »

  Le patriarche: - « Nous suivrons vos opinions. »

  Le pape  :- «  Je vous dirai ce que je crois, que ce soit exact, que ce soit dérivé de l'Evangile et de la volonté de Dieu et de la tradition authentique.  Je vous le mettrai. S'il y a des points qui ne coïncident pas avec votre idée de la constitution de l'Eglise...

  Le patriarche : - « La même chose de ma part. »

  Le pape  : -«  ...on fera des discussions, on cherchera à trouver la vérité. »

  Le patriarche : - « La même chose de notre part, et je suis sûr que nous serons toujours ensemble. »

  Le pape : -«  J'espère que peut-être ce sera plus facile qu'on ne le pense. »

  Le patriarche : - «  Nous ferons notre possible. »

  Le pape : - «  Il y a deux ou trois points de doctrine où nous avons évolué, parce que l'on a avancé dans l'étude, et on voudra justifier à votre avis, à l'avis de vos théologiens, le pourquoi de cela. Et on ne veut rien mettre d’artificiel ni d'accidentel dans ce que nous croyons être la pensée

authentique. . .

  Le patriarche : - «  ...dans l'amour de Jésus-Christ.

  Le pape : - « Et autre chose qui paraît secondaire, mais qui a son importance: tout ce qui regarde la discipline, les honneurs, les prérogatives. Je suis tout à fait disposé à écouter ce que Votre Sainteté croit  être le mieux. »

  Le patriarche : - «  La même chose de ma part. »

  Le pape : - «  Aucune question de prestige, de primauté, qui ne soit celle... fixée par le Christ. Mais d'honneurs, de privilèges, rien de tout cela!  Voyant ce que le Christ nous demande, et chacun prend sa position, mais pas avec des idées humaines de se prévaloir, d’avoir de la louange, d’avoir des avantages. Mais de servir…

  Le patriarche :  - « Comme vous m’êtes cher au fond du cœur ! »

  Le pape : - « … mais de servir ! »

 

           Ensuite, en se quittant après le Pater :  - «  Oui, la main dans la main, pour toujours » , lui dit le Patriarche.

 

Ici prennent fin des siècles  d'histoire

 

          Concluons. Cet acte apparemment impromptu, inespéré, impensable encore quelques années plus tôt, a marqué l'histoire. Il a marqué l’Eglise. Un seuil a été franchi, irréversible. On est encore loin, très loin d'avoir soupçonné toutes les implications de cet acte formidable. On ne peut que les deviner, les pressentir... Un chemin a été ouvert, et rien ne le refermera jamais. Car un Autre est là, entre ces deux sentinelles du Jour. Suivant le mot d'Athénagoras :

 

       « Très saint frère en Christ. Voilà qu'ayant cherché à nous rejoindre l'un 1'autre, nous avons trouvé ensemble le Seigneur. Suivons donc la voie sacrée qui s'ouvre devant nous. Et Lui, il viendra se joindre à notre marche, comme les deux disciples allant à Emmaüs, et il nous indiquera la route à suivre en pressant nos pas vers le but auquel nous aspirons. ››

 

       Paroles et gestes alors échangés forment la vraie charte fondatrice de tout le dialogue qui en découlera comme d'une source. Juste cent ans plus tôt, le ler novembre 1864, venait au monde Elisabeth Feodorovna , la nouvelle martyre , dont le corps repose précisément sur cette même colline des Oliviers, dans ce monastère orthodoxe russe qu'elle avait fait construire, et dont ce 5 janvier 1964, Paul VI et Athénagoras pouvaient contempler les coupoles d'or scintillant au soleil couchant de cette humble et glorieuse Épiphanie.

      Ne jamais oublier cet événement fondateur,[6] ce kairos décisif, dont Paul VI dira dès l'année suivante, en recevant les délégués d'Athénagoras :

      « Oui, vraiment, ce jour, c'est le Seigneur qui l'a fait! C’est sous le regard de Dieu que nous vous ouvrons nos bras ! Que tout soit à l'action de grâce et à la joie l Nous en bénissons Dieu. On pourra dire dans l'avenir : ici on prit fin des siècles d'histoire !"(12 février 1965)

 

Le Livre où se chante l'Amour

 

        Cette lueur daube sur la montagne ne fut pas feu de paille, mais bien étincelle d’un feu pascal, qu'aucune tempête ne pourra désormais éteindre, quels que soient les vents contraires. Feu qui de proche en proche va se propager...

Frères retrouvés, ils le resteront, s’écriront, s’enverront des eulogies (cadeaux), se visiteront. En tout cela : s'estimeront, s'aimeront. Sincèrement. Profondément. Ardemment.

Leurs  fréquents échanges de télégrammes, lettres, billets, en toutes occasions, ont été consignés dans cet extraordinaire Tomas Agapes, publié simultanément en 1971 par le Phanar et le Vatican[7]. J'en ai souvent offert des exemplaires à des amis orthodoxes.

        À le parcourir, on est saisi par la délicatesse des sentiments exprimés et par la justesse des expressions théologiques. Olivier Clément pourra en dire :

 

        « Faut-il dire qu'Athénagoras Ier s'est borné à transformer, entre Rome et Constantinople, la méfiance en amitié, laissant à ses successeurs le soin d'un approfondissement théologique, seul durable ? Ce serait oublier l'acquis déjà considérable obtenu dans le domaine ecclésiologique par le « dialogue de la charité ››. Il suffit de consulter le Tomos Agapês... Il y a là un véritable “lieu théologique” auquel la réflexion devrait souvent se rapporter.

      Le pape et le patriarche ont su retrouver, entre leurs deux Églises, un langage commun: celui de l'Écriture, dans l’éclairage des Pères, dans la fidélité au Souffle qui fut le leur et qui n'a pas abandonné l'Eglise. Le dialogue doit en effet se faire « dans la fidélité aux traditions des Pères et aux inspirations de l‘Esprit ››, formule qui suggère la vraie Tradition, dans sa continuité créatrice, eschatologique.

     Et déjà, par une sorte d’échange où les oppositions se révèlent complémentaires, les documents du Tomos Agapes montrent PaulVI insistant sur la réalité de l'Eglise locale, comme communauté eucharistique, et Athénagoras Ier soulignant que le fait même de la primauté romaine n'est nullement mis en cause par les orthodoxes, seulement certaines de ses modalités, telles qu'elles ont été dogmatisées en l'institution de l'épiscopat) sur la primauté de Rome comme « présidence à l'amour››, diaconie visant à assurer ce qu'on pourrait nommer la circulation de la communion entre toutes les Eglises locales? [8]»

 

 

La table est prête dans La Chambre haute...

Refuserions-nous l'invitation ?

 

      Pour savourer un instant la tonalité de cette correspondance étonnante, citons juste ces lettres :

 

      8 février 1971 - De Paul VI :

 

     « Entre notre Église et les vénérables Églises orthodoxes existe déjà une communion presque totale, bien qu'elle ne soit pas encore parfaite, résultant de notre commune participation au mystère du Christ et de son Eglise.

L'Esprit nous a donné, en ces dernières années, de reprendre une vive conscience de ce fait, et de poser des actes qui traduisent dans la vie de nos Eglises et dans leurs relations les exigences de cette communion [...]. Que les situations héritées du passé et les barrières qui furent alors dressées entre nous ne soient pas un obstacle retardant ce dernier pas vers la pleine communion. Ne sommes-nous pas les disciples de Celui qui fait continuellement toutes choses nouvelles ? ››

 

      21 mars1971, réponse du patriarche Athénagoras :

 

                          « À Paul, le Très Bienheureux et Très Saint Pape de l'ancienne Rome, salut dans le Seigneur ! Par cette              réponse fraternelle, nous nous empressons de vous confirmer, frère aîné, que, obéissant à la sainte volonté du Seigneur qui veut que son Eglise soit une, visible à tous, afin que le monde entier vienne à elle, nous nous remettons constamment et sans relâche à la conduite de l'Esprit Saint, en vue de la poursuite résolue et de l'achèvement de l'œuvre sainte que, d'un commun et saint désir, nous avons commencée et développée avec vous : rendre visible et manifester au monde l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique du Christ. Avec vous, nous adressons nos actions de grâces au Seigneur pour les grands bienfaits qu'il nous a accordés, d'une part, en nous faisant prendre conscience  du grave péché de la division, au nom de son précieux Sang qui unit toutes choses et a été répandu  pour la vie et le salut du monde, et, d'autre part, en nous éveillant et nous mettant en marche, du Levant et du Couchant, vers le retour à la bienheureuse unité première des Apôtres et des Pères.

                          En fait, bien que les Églises d'Orient et d'Occident, par des fautes connues du Seigneur, se soient éloignées  1'une de l'autre, elles ne se sont pas éloignées, dans l'existence, de la communion au mystère de l'homme- Dieu                        Jésus et de son Eglise divino-humaine.

                          Nous nous sommes éloignés de l'amour réciproque et ainsi nous a été enlevé le bien sacré de la confession unanime de la foi du Christ. Nous a été enlevée aussi la bénédiction de monter ensemble à l'autel unique, institué par le Seigneur peu avant sa Passion, et d'y communier d'une communion parfaite et unanime au même précieux Corps et au même précieux Sang eucharistiques, bien que nous n'ayons pas cessé de reconnaître la validité du sacerdoce  apostolique de l’autre et du sacrement de la divine Eucharistie célébré par lui.

                        Mais voici que, de nos jours, s'est développé jusqu'à l‘angoisse le désir des fidèles d'Orient et d‘Occidend'avoir,  d'un même cœur et dans l’amour, la communion dans la vérité de la foi et dans sa confession, communion qui se célèbre et s'accomplit dans le même saint calice. Et la grâce a surabondé en nous.

                        Illuminés par cette grâce, nous voyons aujourd'hui clairement que la cause très sainte de l'unité visible de           l 'Eglise et    de la communion parfaite des fidèles en elle n’est pas une œuvre qui appartient aux raisonnements et                    délibérations des hommes, car les pensées humaines sont incertaines, mais est une expérience vécue dans la vie du Christ, vie  qui est dans son Corps, 1'Eglise [...].

                       La Table est prête dans la chambre haute, et notre Seigneur désire manger la Pâque avec nous. Refuserons-        nous ? Certes, les obstacles hérités de l'histoire ou d’autres facteurs subsistent encore et l'ennemi du Royaume de Dieu les entretient. Mais nous, n'avons-nous pas cru en Celui qui a dit que ce qui est impossible aux hommes est  possible à Dieu, et que tout est possible à celui qui croit ? Dans la foi, l'espérance et la patience, suivons ensemble  les Apôtres, de qui nous avons la grâce, la fraternité et la communion. Donnant cette réponse dans l'amour, l'estime et un profond esprit fraternel, nous embrassons d'un saint baiser Votre Sainteté vénérée et très chère.

 

                                                                                 De Votre Sainteté très vénérable le frère bien-aimé dans le Christ.

                                                                                                                              Athénagoras de Constantinople.[9]

 

Ces mutuelles visitations où se transmet l'Esprit

 

                      Mais, plus percutantes que cette correspondance admirable : les visitations mutuelles : signes au sens johannique du terme.

25 juillet 1967 : Paul VI tient à devancer la visite d'Athénagoras, en se rendant le premier chez son frère bien-aimé.

                   Cette quasi-première fut bouleversante de simple et paisible beauté[10]. Nul n'oublie ces métropolites et cardinaux serrés dans l’humble petite église du Phanar, si intime et priante. Geste saisissant entre tous : dans Sainte-Sophie, musée officiel de l'État turc, où tout acte religieux est strictement interdit - ô suprême humiliation, non seulement pour tout orthodoxe, mais pour tout cœur chrétien ! - arrivé sur le lieu où se situe l’autel, voici tout à coup l’Évêque de Rome qui tombe à genoux, s’incline profondément, prie en silence. Sous l'œil sidéré du ministre des Cultes et le regard humide du patriarche. La manière de Paul VI d'implorer le pardon de Dieu pour cette atroce Bulle d'excommunication[11]déposée par le cardinal Humbert, en cette année fatidique de 1054.

 

                       Paul VI :    -« Aujourd'hui, c'est le même amour du Christ et de son Eglise qui nous l’amène, de nouveau en pèlerin, en ce noble pays où les successeurs des Apôtres se réunirent jadis dans l'Esprit Saint pour témoigner de la foi de l'Eglise. Nous évoquons ici les quatre grands conciles œcuméniques de Nicée, Constantinople, Ephèse et Chalcédoine, que les Pères n'ont pas hésité à comparer aux quatre Evangiles. C’étaient les premières fois qu'ils se rencontraient, venant de tout le monde chrétien d'alors. Animés d’une même charité fraternelle, ils ont donné à notre foi une expression dont la richesse et la densité alimentent encore de nos jours la foi et la contemplation aimante de tous les chrétiens. I

Le secret de notre rencontre, des retrouvailles progressives de nos Christ, qui nous fait converger en Lui[12]?

                       Le Patriarche de répondre  :  

                     « Gloire à Dieu, auteur de toute merveille, qui nous a jugés dignes aujourd'hui, Nous et la hiérarchie, le clergé et le peuple qui nous entourent, associés à notre prière avec nos saints frères, les chefs des Eglises orthodoxes locales et les vénérés frères des autres Eglises chrétiennes, de recevoir avec un amour sans bornes et un très grand honneur Votre très chère et très vénérée Sainteté, venue apporter ici le baiser de la Rome ancienne à sa sœur cadette. Soyez le bienvenu, très saint successeur de Pierre, qui avez de Paul le nom et la' conduite, messager de charité, d'union et de paix. Nous vous rendons, au sein même de l'Eglise, le baiser d'amour du Christ. Les apôtres Pierre et André, qui étaient frères, se réjouissent avec nous, et à leur joie s'associe le chœur des saints Pères du Couchant et du Levant, du septentrion et du midi, qui se sont consommés dans le témoignage de la foi commune de l'Eglise indivise et dans la sanctification de leur concélébration en son sein, ainsi qu'avec eux toutes les générations qui ont aspiré à voir ce jour. Frère très saint, en descendant en paix du mont des Oliviers, comme d'un premier degré de la conciliation, et en faisant route vers Emmaüs, cheminant avec le Seigneur ressuscité et songeant à la fraction du pain, nous avons poursuivi notre chemin jusqu'à ce jour en dialoguant dans la charité. Nos cœurs étaient ardents, et le Seigneur ne nous a pas quittés. Selon sa parole véridique : “Voici, je suis avec vous" (Mt 28, 20), il nous a conduits d'étape en étape, et nous a affrontés aux signes douloureux de notre commune histoire. Il nous a ordonné d'enlever d'entre nous, du milieu de l'Eglise et de sa mémoire même le rideau de la séparation. C'est ce que nous avons fait à la mesure de notre faiblesse. Mais Celui qui donne au-delà de tout ce que nous pouvons concevoir, notre commun et unique Seigneur, a béni et accru la mesure de ses dons à son Eglise et à nous-mêmes. Et voici que, contre toute attente humaine, se trouve parmi nous l'évêque de Rome, le premier en honneur d'entre nous: “celui qui préside dans la charité" (Ignace d'Antioche)  Et nous voici tous deux face à notre commune et sainte responsabilité envers l'Eglise et à travers le monde. Vers où et comment allons-nous continuer dorénavant notre route ? « 

 

                Octobre 1967 : Trois mois plus tard, autre première : le Patriarche en pèlerinage à Rome, célébrant à Saint-Pierre, avec Paul VI, une liturgie de la Parole...

 

                 Cette mutuelle Visitation - au sens évangélique du terme - où s'échange l'Esprit Saint, fut la rampe de lancement des visites annuelles du pape ou de ses délégués au Phanar, pour chaque fête de saint André. Comme de celles du patriarche ou de ses délégués à Rome, pour chaque fête des saints Pierre et Paul. Depuis 33 ans, pas une seule fois on a failli à ce qui est devenu une belle tradition ecclésiale. .

 

                Quand Jean Paul II, puis Benoît XVI,  se sont rendus au Phanar, ou Dimitrios Ier , puis Bartholomeos au Vatican , c’est chaque fois André et Pierre se retrouvant, sur les traces d’Athénagoras et de Paul VI, juste 50 ans cette année.

 

Pieds lavés et “mémoires purifiées

 

               Une de ces visites est restée gravée dans la mémoire des témoins : celle des délégués de Dimitrios Ier, sur la colline du Vatican, le 29 juin de l’Année sainte 1975. En pleine chapelle Sixtine, devant un parterre d’évêques orthodoxes et catholiques, impromptu, le Pape tombe à genoux, se

prosterne et baise les pieds du métropolite Méliton de Chalcédoine (l’intime d’Athénagoras), représentant du patriarche. Secoué par l’émotion, celui-ci veut s’agenouiller à son tour, mais le Pape énergiquement l’en empêche.[13]

          Renversement pur et simple de l’usage naguère de baiser les pieds du Pape (usage qui avait fait reculer certains représentants orientaux au Concile de Florence, ce qui se justifie parfaitement). Sorte de réparation de la part de Paul VI. [14]

 

            Mais le signe de loin le plus historique eu lieu ce 7 décembre 1965, Vigile de la clôture solennelle de Vatican II. Dans la basilique toute illuminée, en présence de quelque 2 300 évêques de l'Église catholique romaine, venus des cinq continents, des délégués fraternels non en pleine communion avec Rome, des membres du corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège, et surtout d’une délégation de Constantinople, a lieu la levée officielle des “anathèmes” canoniques. Pendant qu'à la même heure, le patriarche procédait, en présence de la délégation de Rome, au même acte solennel.

Cet « acte ecclésial a ôté de la mémoire et du milieu des Églises le souvenir des excommunications [15]››.

Exactement 30 ans plus tard, Jean Paul Il en dira : « L'assemblée conciliaire se terminait ainsi par un acte solennel qui 'ta`t même tem s une purification de la mémoire historique, un pardon réciproque et un engagement solidaire pour la recherche de la communion.[16] »

          La page redevenue blanche, vierge, quatre ans plus tard Athénagoras pourra écrire :

« Dieu soit béni parce que, déjà en Occident comme en Orient, nous vivons la grande heure du retour à l'unité ! Aucun d'entre nous n'appelle plus l'autre à lui mais comme Pierre et André, nous nous dirigeons nous- mêmes et réciproquement vers Jésus, l'unique et commun Seigneur qui nous rend un. Nous voulons demeurer avec Jésus, demeurer unis ensemble, et demeurer tout le jour, ce jour sans fin des derniers temps. ››

 

Quand tes deux frères se retrouvent dans la Jérusalem céleste

 

              La nuit du 6 au 7 juillet 1972, dans la chambre n° 12 de l'hôpital grec orthodoxe de Balouki, Athénagoras a entendu: « Entre dans la joie de ton Seigneur I ››

Apprenant la nouvelle, Paul VI s'exclamera :

             « Nous sommes de ceux qui l'ont le plus admiré et aimé. L'amitié et la confiance qu’il nous a manifestées nous ont toujours ému. Son souvenir ne fait qu'accroître notre regret et notre espérance de l'avoir encore comme un frère auprès de nous, dans la communion des saints. ››

           « Vint le dernier soir. Le corps exténué s'abandonnait à la mort, mais l'esprit restait fort et lucide. Le patriarche a demandé à se confesser, il a récité lentement les prières de pénitence, de foi et d'amour; puis a reçu avec beaucoup de gravité et de joie la communion des mains du métropolite Méliton. Après quoi il a refusé toute nourriture et demandé qu'on le laissât seul. Non cependant: il fait revenir le métropolite, lui dit merci. Alors il reste seul pour mourir. Seul avec le Seul : c'était un moine ! »

 

                 Devant l’Hagiasma - la source sainte, source de vie - se trouve le petit cimetière des patriarches. Même impression qu'à la Grotte de Lourdes 1 la terre rendue transparente par la Vierge Mère. Le sarcophage blanc où repose Athénagoras. Le voici définitivement “près de la Mère”, lui qui, orphelin à treize ans de sa mère terrestre, aimait venir devant les icônes de la Théotokos. La tombe du patriarche est toujours fleurie. Dans les jours d'hiver où je l'ai visitée, on apportait à lstamboul des narcisses par camionnettes pleines. Leur parfum blanc, charnel et pur à la fois montait des places de la ville, comme il montait de ce tombeau. Tombeau d'un vivant.

                Le patriarche Athénagoras est entré dans la communion des saints d’Orient et d'Occident qui attirent l'une vers l'autre les deux Eglises. »

                A tout ce qu’ensemble ils ont vécu, ne peut-on appliquer ce mot de Paul VI, au retour de leur deuxième rencontre au Phanar ?

               « Nous pensons que le premier à s'en réjouir, c'est le Christ lui-même dans le ciel ›› (2/8/67)

             Un rêve: que leurs successeurs sur les Sièges apostoliques respectifs canonisent ensemble ces deux grands prophètes.                Le pape se rendant au Phanar pour la canonisation d'Athénagoras. Le patriarche à Saint-Pierre  pour celle de Paul Vl...                 Et pourquoi pas  déjà en 2014, cette 50 ème année, par Pape François et S. Béatitude Bartholomaos, l’un en la fête des S. Pierre, l’autre en la fête de S. André, ces Apôtres frères, à l’origine des Eglises sœurs.

 

              N’a-t-on pas le droit de rêver ?

              Les temps se font courts.

 

 

 

 

 

[1] Mis à part l’unique rencontre : celle d’Eugène IV et du patriarche Joseph de Constantinople au Concile de Florence (1439). Mais dans un contexte d’extrême tension. Voir Murr-Nehmé, Mahomet II impose le schisme orthodoxe, ed. de Guibert 2003

 

[2] Ce même soir du 5 janvier 1964, un jeune Grec orthodoxe débarque au séminaire français de Rome. Il y gîtera pendant ses trois ans d’études à l’Institut Pontifical oriental. Trente et un ans plus tard, il y reviendra. Il sera alors…. sa sainteté Bartholomeos 1er, successeur d’Athénagoras, sur le Siège de Saint André. Il sera reçu par Jean-Paul II, succédant à Paul Vi sur celui de Pierre. Trame tissée de fil d’or !

 

[3] . Paul VI rencontrera aussi le patriarche Orthodoxe de Jérusalem : Benedictos

 

[4] .Dans les coulisses, à Jérusalem, se trouvait aussi le père Lev Gillet, l’anonyme et illustre Moine de l’Eglise d’ ’Orient, brûlé de cette passion de l’unité de  nos Eglises-sœurs, lui, moine catholique devenu orthodoxe.

 

[5] Reproduit dans la Documentation Catholique ( n° 1614, 6-20 août 1972, p 724), ce dialogue ne fut publié qu’après la mort d’Athénagoras, avec l’accord de Paul VI. Texte complet dans mon :  Paul VI, un regard prophétique( S. Paul- vol. 1, pp170-174).

 

[6] . Si j’ai tenu à évoquer longuement ici cet événement fondateur, c’est en tant qu’anamnèse face à notre amnésie. D’un côté la nouvelle génération n’en sait rien : de l’autre, dans les pays de l’Est – vu le total embargo soviétique sur toute information venant de l’Ouest – les baptisés- orthodoxes ou catholiques- n’en n’ont rien su.  En Russie, stupeur et joie dans les yeux de mes auditeurs lorsque j’en parle !

 

[7] Complété par la correspondance entre Dimitrios et Jean Paul II, et paru au Cerf en édition populaire sous le titre : Le Livre de la Charité.

 

[8] France catholique du 18/2/94.

 

 

[9] . Le Livre de la Charité, n° 58-59 (283-284), p 153

 

[10] L'unique précédent : la visite du pape Jean Ier qui y fut reçu triomphalement, avant de mourir de faim en prison (en 526), pour n'avoir pas voulu en faire un voyage politique.

 

[11] Acte considéré comme la goutte d'eau faisant déborder le vase de la séparation déjà largement amorcée. En fait, le légat latin n'avait plus aucun pouvoir, le pape étant décédé depuis son départ de Rome.

 

 

[12] . Le Patriarche :   « Gloire à Dieu, auteur de toute merveille, qui nous a jugés dignes aujourd'hui, Nous et la hiérarchie, le clergé et le peuple qui nous entourent, associés à notre prière avec nos saints frères, les chefs des Eglises orthodoxes locales et les vénérés frères des autres Eglises chrétiennes, de recevoir avec un amour sans bornes et un très grand honneur Votre très chère et très vénérée Sainteté, venue apporter ici le baiser de la Rome ancienne à sa sœur cadette. Soyez le bienvenu, très saint successeur de Pierre, qui avez de Paul le nom et la' conduite, messager de charité, d'union et de paix. Nous vous rendons, au sein même de l'Eglise, le baiser d'amour du Christ. Les apôtres Pierre et André, qui étaient frères, se réjouissent avec nous, et à leur joie s'associe le chœur des saints Pères du Couchant et du Levant, du septentrion et du midi, qui se sont consommés dans le témoignage de la foi commune de l'Eglise indivise et dans la sanctification de leur concélébration en son sein, ainsi qu'avec eux toutes les générations qui ont aspiré à voir ce jour. Frère très saint, en descendant en paix du mont

 

[13] C'est Don Macchi lui-même, secrétaire privé de Paul VI, actuel évêque de Lorette, qui m'a précisé ce détail. A un moment, Paul VI lui glisse à l'oreille : « Eloigne-toi de moi d'environ un mètre. ›› Don Macchi, habitué à ces gestes inattendus, hors de tout protocole, m'avoua avoir pensé : « Mais que va-t-il donc encore inventer ? ››

 

[14] A propos de ce geste, le patriarche Dimitrios Ier déclarait aux journalistes : « Il n'est pas possible qu'un homme, chrétien ou non, et surtout nous-mêmes en tant que patriarche œcuménique, n'apprécie pas profondément le geste spontané, sans précédent dans l’histoire de l'Eglise, de Sa Sainteté le pape Paul VI qui, au moment de la célébration eucharistique, s'est prosterné pour baiser les pieds de notre représentant, le métropolite Meliton de Chalcédoine, conscient qu'en ce moment le métropolite représentait l’orthodoxie tout entière... Ce grand geste de Sa Sainteté, nous le voyons comme une continuation de la tradition des Pères, évêques de l'Eglise non divisée, qui ont obtenu la grandeur par l'humilité. Par cet acte, notre frère vénéré et bien-aimé, le pape de Rome, Paul VI a surpassé le pape et prouvé à l'Eglise et au monde entier ce qu'il est et ce qu'il peut être : l'Evêque chrétien et surtout le premier Evêque de la chrétienté, l'Evêque de Rome, à savoir : une puissance réconciliatrice et unificatrice de l'Église et du monde. ›› La Croix, 10/12/75

 

[15]  Déclaration commune du pape et du patriarche, Tomos Agapês,p 280

 

[16]  Ut unum, n° 52

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Jubilé d’or du « baiser de Paix de Jérusalem »

Paul VI –Athenagoras :

la Rencontre qui a fait basculer l’histoire.

 

 

                Notre Pape François, pour annoncer son pèlerinage en Terre Sainte, a choisi le jour même des 50 ans du « Baiser de Paix de Jérusalem », commet du tout premier des pèlerinages d’un Pape sur la terre sanctifiée par la Venue de Dieu en notre terre. Je m’en souviens comme si c’était hier.

 

L’ humble étreinte de l’Amour

 

                J’etais au fin fond de l°Afrique noire. Le 8 décembre 1963, nous voici l'oreille collée au transistor, captant la clôture liturgique de la session 2 de Vatican II. Tout à coup, Paul VI - tout jeune pape de sept mois - a la gorge serrée par l’émotion. Sa voix un instant se fait tremblante. Que va-t-il annoncer pour être bouleversé à ce point ? Le pape dans un mois sera à Jérusalem!   Inimaginable ! Impensable!

                Aurait-on mal compris ? Aucun pape n'est sorti d'Italie depuis des siècles. Aucun de Rome depuis des lustres (à part Jean XXIII se risquant timidement en train jusqu'à Assise).

 

L'équivalent ecclésial de la chute du mur de Berlin

 

               Nul ne peut se faire idée de ce coup de foudre dans l'univers chrétien.  Absolument jamais Pierre n'était revenu d'où il venait : sur sa terre natale, originelle.   Le prisonnier du Vatican allait s'envoler comme un oiseau libéré. Cette première sortie va le propulser sur toutes les routes du monde. Premier pape en Boeing, Pau VI sera projeté dans l'atoll d”Opulu (6 O00 kilomètres de Sydney), à la tribune de l'ONU, via Kampala et Bogota. Jean Paul II n'aura qu'à s’engouffrer dans le sillage de ces premiers sprints apostoliques qui feront la joie des peuples. Il en deviendra le Paul d'aujourd'huí, l’Apôtre des nations. Mais cette mise sur orbite des papes se devait de commencer par un pèlerinage. Et un pèlerinage aux sources, à La Source. Et dans son sillage, voici et Jean-Paul II et Benoît, et François.

              Pierre retrouvant sa terre, et donc s'ouvrant à toute la terre : à lui seul, l'événement était d'ordre prophétique. Politique aussi : c'était avant la guerre des Six jours, dans une Jérusalem  dramatiquement coupée en deux par un mur pathétique, frère de celui de Berlin. Le passage stratégique y fut donc ouvert pour la première fois par le Pape !

              Mais ce n est pas tout. Un coup de foudre : deux séismes ! Deux murs qui s'écroulent !  Deux ères qui s'ouvrent, la seconde bien plus lourde de conséquences que la première. Car un deuxième acte s'ensuit, prophétique entre tous, celui-là. Et bien plus que prophétique : d'ordre eschatologique.

 

 

Une épiphanie prophétique

 

               A peine Paul VI  a t-il annoncé la nouvelle, qu'un autre homme prend la route, la même direction: celle de l'Orient, du soleil levant. Ce soir du 5 janvier, rentrant de sa virée en Galilée, le Pape catholique va rencontrer le Patriarche œcuménique.

En quel lieu ?  Rien de moins que la terre de Jésus. Et sur cette terre sainte entre toutes, rien de moins que la Cité des larmes et de la paix, celle de la Croix et de la Résurrection : Jérusalem !

               Et à Jérusalem, rien de moins que le mont des Oliviers, la douce colline et de l'Agonie et de l'Ascension. Et surtout déjà celle où il viendra dans sa gloire. Et en quel jour ? Rien de moins qu'en cette Vigile de l'Epiphanie?

En vérité, c'est une des plus belles manifestations de Charité divine, au cours des siècles. Manifestation  de pure beauté s'il en fut !  Brèche de lumière qui soudain s'0uvre dans un mur que l'on croyait de béton. L'équivalent ecclésial de la chute du mur de Berlin. Mais non  après 40 ans, mais après 1000 ans de séparation.[1]

              J'avais détecté l'épicentre du séisme qui a ébranlé tout le communisme. L'épiclèse de Jean-Paul II sur 2 millions de pèlerins à Cracovie 10 ans avant l'effondrement du mur de Berlin. Voici donc l'épicentre sismique qui fissure de part en part le mur érigé par nos péchés. Mur traversant de part en part sa cité sur terre : l'Eglise. Scindant en deux le peuple de Dieu ! Orient et Occident !

            Oui, après dix siècles de séparation, pour la toute-première fois, ils se retrouvent, s'étreignent, s'aiment, prient ensemble, les deux bergers! Ensemble, ils tournent leurs regards ver le jour béni entre tous, où nous pourrons enfin partager la même coupe. De ce jour tant attendu et désiré - par Dieu plus encore que par les hommes -, cet événement fut la radieuse aurore[2] !

 

Des guetteurs qui font advenir l'aurore

 

           De cette aurore qui s'ouvrait, ils sont  les sentinelles sur la montagne.  Áu terme d'une nuit séculaire, ils voient, annoncent, provoquent et anticipent l'aube tant attendue. Ainsi le chantait

magnifiquement Sa Sainteté Athénagoras :

              « Depuis des siècles, le monde chrétien vit la nuit de la séparation. Ses yeux se sont fatigués à regarder les ténèbres. Puisse cette rencontre être l'aube d”un jour lumineux et béni, où les générations futures, communiant au même calice du saint Corps et du précieux Sang du Seigneur, loueront et glorifieront dans la charité, la paix et 1'unité l'unique Seigneur et Sauveur du monde. ››

 

             Mais ce sera pour un de leurs successeurs[3]. François ? Qui sait ? Voilà donc André et Pierre, fondateurs des Sièges de Constantinople et de Rome, se retrouvant, tels que sur l’icône des « Agoi Adelphoi Apostoiai ›› (des saints frères apôtres) - peinte pour la circonstance par un moine de l'Athos - que le patriarche offre à son « bien-aimé et saint frère de Rome ››, et qui préside désormais à toutes les rencontres du Conseil pontifical pour l”unité. De son côté, le patriarche offre un encolpion (chaîne pectorale ornée d'une icône de la Panaghia, la Toute Sainte), insigne épiscopal de l’Eglise d,Orient. En le recevant, le regard de Paul VI s'illumine.[4]

            Et prophétiquement, Paul`VI de lui remettre un calice en or, « racine vivante de notre fraternité ››. A propos de ce calice, le patriarche déclarera :

            « Je souhaite ardemment que le pape Paul VI et moi mêlions un jour ensemble l'eau et le vin dans le calice. ››

 

Des confidences, des connivences, une intime confiance

 

        Mais on connaît moins ce qui a précédé : leurs tout-premiers mots,. Ce premier entretien devait rester strictement confidentiel. Nous n aurions Jamais dû le connaitre, mais par erreur - ou par chance -, les appareils enregistreurs de la télévision italienne avaient continué fonctionner. En voici quelques passages, dont la simplicité et la spontanéité laissent encore passer ce qui  fut leur intense émotion.[5]

 

  Le pape : -  «  Je vous dis toute ma joie, mon émotion. Vraiment, je pense que c'est un moment que nous vivons en présence de Dieu.

  Le patriarche : - «  En présence de Dieu. Je le répète. En présence de Dieu !

  Le pape : - « Et je n'ai d'autre pensée que celle de parler avec Dieu, tandis que je parle avec vous. »

  Le patriarche : -« Je suis profondément ému, Votre Sainteté. Les larmes me Viennent aux yeux... »

  Le pape : -« Et comme c'est un moment vraiment de Dieu, il faut qu'on le vive avec toute l'intensité, toute la rectitude et tout le désir... »

  Le patriarche : -« de pousser en avant... »

 Le pape : -«  En avant les voies de Dieu. Est-ce que Votre Sainteté a quelque aperçu, quelque désir auquel je peux correspondre ? »

  Le patriarche :- «  Nous avons le même désir ! »

  Le pape :-«  Voilà, nous sommes deux voies qui peut-être vont se rencontrer. »

  Le patriarche :-«  Nous avons le même désir. Dès que j'ai vu dans les journaux que vous aviez pris la décision de visiter ce pays, j'avais immédiatement pris 1'idée d'exprimer le désir de vous rencontrer ici et, j’en étais sûr, que de Votre Sainteté j'aurais la réponse...

  Le pape : -«  positive ! »

 Le patriarche :- «  positive, puisque j'ai confiance en Votre Sainteté, je vous vois, je vous vois, sans vous flatter, dans les Actes des Apôtres ; je vous vois dans les lettres de saint Paul, dont vous avez le nom ; je vous vois ici, oui, je vous vois dans... »

  Le pape : « Je vous parle en frère : sachez que j'ai la même confiance en vous. Je pense que la Providence vous a choisi pour pousser cette histoire. »

  Le patriarche :-«  Je pense que la Providence vous a choisi pour ouvrir le chemin de son... »

  Le pape :-«  La Providence nous a choisis pour nous entendre. »

  Le patriarche :-«  Les siècles vous attendaient. Les siècles, pour ce jour, ce grand jour... Quelle joie dans cette pièce, quelle joie dans le Sépulcre , quelle joie dans le Golgotha, quelle joie sur le chemin que vous avez suivi hier... »

  Le pape : -«  Je suis tellement rempli d'impressions, qu'il faudra beaucoup de temps pour laisser calmer et interpréter toute cette richesse d'émotions que j'ai dans l'esprit. Mais je veux profiter de ce moment pour vous dire la loyauté absolue avec laquelle je traiterai toujours avec vous. »

  Le patriarche : – « La même chose... »

  Le pape : - «  Je ne vous cacherai jamais la vérité... »

  Le patriarche : «  J'aurai toujours confiance... »

Le pape : -«  Je n'ai aucun désir de décevoir, de profiter de votre bonne volonté. Je ne désire d'autre chose que de suivre le chemin de Dieu. »

  Le patriarche : -«  J'ai une confiance absolue en Votre Sainteté. Absolue. Absolue. »

  Le pape : – «  J'essaierai toujours...

  Le patriarche : -«  Je serai toujours de votre côté... »

  Le pape :-«  J”essaierai toujours de ne pas manquer de la mériter. Que dès maintenant Votre Sainteté sache que je prierai tous les jours pour Votre Sainteté et pour les intentions communes que nous avons pour le bien de l’Eglise. »

Le patriarche : -«  Étant donné que nous avons ce grand moment, nous serons ensemble, nous marcherons ensemble. Que Dieu... Votre Sainteté, Votre grande Sainteté envoyée par Dieu, le pape au grand cœur... Vous savez comment je vous appelle ? « O megalocardos ››: le pape au grand cœur ! »

  Le pape :- «  Nous sommes de petits instruments. »

  Le patriarche : «  Il faut voir les choses comme ça. »

  Le pape  : -«  Plus petits nous sommes, et plus instruments nous sommes. »C'est-à-dire que l’action de Dieu doit prévaloir et doit être maîtresse dans toutes nos actions. De mon côté, je ne suis que dans la docilité, dans le désir d’être le plus obéissant à la volonté de Dieu, et d'être envers vous,

Sainteté, envers vos frères, envers votre milieu, le plus compréhensif possible.

  Le patriarche: -« Je le crois ! Sans le demander, je le crois. »

  Le pape : -« Je sais que c'est difficile. Je sais qu'il y a des susceptibilités, une mentalité... »

  Le patriarche :-«  ...qu'il y a une psychologie.. ».

  Le pape : - «  Mais je sais aussi... »

  Le patriarche : -«  ...des deux côtés... »

  Le pape : -« ...qu'il y a la grande rectitude et le désir d'aimer Dieu, de servir la cause de Jésus-Christ. C'est sur cela que je fais confiance. »

Le patriarche: -«  Sur cela que je fais confiance. Ensemble, ensemble. »

  Le pape : - «  Je ne sais pas si c'est le moment, mais je vois ce qu'il y aurait à faire, c'est-à-dire à étudier ensemble ou déléguer à quelqu'un qui...

  Le patriarche : -«  ...des deux côtés... »

  Le pape : - «  Et je désirerais savoir quelle est l’idée de Votre Sainteté, de votre Eglise, sur la constitution de l'Eglise. C'est le premier pas... »

  Le patriarche: - « Nous suivrons vos opinions. »

  Le pape  :- «  Je vous dirai ce que je crois, que ce soit exact, que ce soit dérivé de l'Evangile et de la volonté de Dieu et de la tradition authentique.  Je vous le mettrai. S'il y a des points qui ne coïncident pas avec votre idée de la constitution de l'Eglise...

  Le patriarche : - « La même chose de ma part. »

  Le pape  : -«  ...on fera des discussions, on cherchera à trouver la vérité. »

  Le patriarche : - « La même chose de notre part, et je suis sûr que nous serons toujours ensemble. »

  Le pape : -«  J'espère que peut-être ce sera plus facile qu'on ne le pense. »

  Le patriarche : - «  Nous ferons notre possible. »

  Le pape : - «  Il y a deux ou trois points de doctrine où nous avons évolué, parce que l'on a avancé dans l'étude, et on voudra justifier à votre avis, à l'avis de vos théologiens, le pourquoi de cela. Et on ne veut rien mettre d’artificiel ni d'accidentel dans ce que nous croyons être la pensée

authentique. . .

  Le patriarche : - «  ...dans l'amour de Jésus-Christ.

  Le pape : - « Et autre chose qui paraît secondaire, mais qui a son importance: tout ce qui regarde la discipline, les honneurs, les prérogatives. Je suis tout à fait disposé à écouter ce que Votre Sainteté croit  être le mieux. »

  Le patriarche : - «  La même chose de ma part. »

  Le pape : - «  Aucune question de prestige, de primauté, qui ne soit celle... fixée par le Christ. Mais d'honneurs, de privilèges, rien de tout cela!  Voyant ce que le Christ nous demande, et chacun prend sa position, mais pas avec des idées humaines de se prévaloir, d’avoir de la louange, d’avoir des avantages. Mais de servir…

  Le patriarche :  - « Comme vous m’êtes cher au fond du cœur ! »

  Le pape : - « … mais de servir ! »

 

           Ensuite, en se quittant après le Pater :  - «  Oui, la main dans la main, pour toujours » , lui dit le Patriarche.

 

Ici prennent fin des siècles  d'histoire

 

          Concluons. Cet acte apparemment impromptu, inespéré, impensable encore quelques années plus tôt, a marqué l'histoire. Il a marqué l’Eglise. Un seuil a été franchi, irréversible. On est encore loin, très loin d'avoir soupçonné toutes les implications de cet acte formidable. On ne peut que les deviner, les pressentir... Un chemin a été ouvert, et rien ne le refermera jamais. Car un Autre est là, entre ces deux sentinelles du Jour. Suivant le mot d'Athénagoras :

 

       « Très saint frère en Christ. Voilà qu'ayant cherché à nous rejoindre l'un 1'autre, nous avons trouvé ensemble le Seigneur. Suivons donc la voie sacrée qui s'ouvre devant nous. Et Lui, il viendra se joindre à notre marche, comme les deux disciples allant à Emmaüs, et il nous indiquera la route à suivre en pressant nos pas vers le but auquel nous aspirons. ››

 

       Paroles et gestes alors échangés forment la vraie charte fondatrice de tout le dialogue qui en découlera comme d'une source. Juste cent ans plus tôt, le ler novembre 1864, venait au monde Elisabeth Feodorovna , la nouvelle martyre , dont le corps repose précisément sur cette même colline des Oliviers, dans ce monastère orthodoxe russe qu'elle avait fait construire, et dont ce 5 janvier 1964, Paul VI et Athénagoras pouvaient contempler les coupoles d'or scintillant au soleil couchant de cette humble et glorieuse Épiphanie.

      Ne jamais oublier cet événement fondateur,[6] ce kairos décisif, dont Paul VI dira dès l'année suivante, en recevant les délégués d'Athénagoras :

      « Oui, vraiment, ce jour, c'est le Seigneur qui l'a fait! C’est sous le regard de Dieu que nous vous ouvrons nos bras ! Que tout soit à l'action de grâce et à la joie l Nous en bénissons Dieu. On pourra dire dans l'avenir : ici on prit fin des siècles d'histoire !"(12 février 1965)

 

Le Livre où se chante l'Amour

 

        Cette lueur daube sur la montagne ne fut pas feu de paille, mais bien étincelle d’un feu pascal, qu'aucune tempête ne pourra désormais éteindre, quels que soient les vents contraires. Feu qui de proche en proche va se propager...

Frères retrouvés, ils le resteront, s’écriront, s’enverront des eulogies (cadeaux), se visiteront. En tout cela : s'estimeront, s'aimeront. Sincèrement. Profondément. Ardemment.

Leurs  fréquents échanges de télégrammes, lettres, billets, en toutes occasions, ont été consignés dans cet extraordinaire Tomas Agapes, publié simultanément en 1971 par le Phanar et le Vatican[7]. J'en ai souvent offert des exemplaires à des amis orthodoxes.

        À le parcourir, on est saisi par la délicatesse des sentiments exprimés et par la justesse des expressions théologiques. Olivier Clément pourra en dire :

 

        « Faut-il dire qu'Athénagoras Ier s'est borné à transformer, entre Rome et Constantinople, la méfiance en amitié, laissant à ses successeurs le soin d'un approfondissement théologique, seul durable ? Ce serait oublier l'acquis déjà considérable obtenu dans le domaine ecclésiologique par le « dialogue de la charité ››. Il suffit de consulter le Tomos Agapês... Il y a là un véritable “lieu théologique” auquel la réflexion devrait souvent se rapporter.

      Le pape et le patriarche ont su retrouver, entre leurs deux Églises, un langage commun: celui de l'Écriture, dans l’éclairage des Pères, dans la fidélité au Souffle qui fut le leur et qui n'a pas abandonné l'Eglise. Le dialogue doit en effet se faire « dans la fidélité aux traditions des Pères et aux inspirations de l‘Esprit ››, formule qui suggère la vraie Tradition, dans sa continuité créatrice, eschatologique.

     Et déjà, par une sorte d’échange où les oppositions se révèlent complémentaires, les documents du Tomos Agapes montrent PaulVI insistant sur la réalité de l'Eglise locale, comme communauté eucharistique, et Athénagoras Ier soulignant que le fait même de la primauté romaine n'est nullement mis en cause par les orthodoxes, seulement certaines de ses modalités, telles qu'elles ont été dogmatisées en l'institution de l'épiscopat) sur la primauté de Rome comme « présidence à l'amour››, diaconie visant à assurer ce qu'on pourrait nommer la circulation de la communion entre toutes les Eglises locales? [8]»

 

 

La table est prête dans La Chambre haute...

Refuserions-nous l'invitation ?

 

      Pour savourer un instant la tonalité de cette correspondance étonnante, citons juste ces lettres :

 

      8 février 1971 - De Paul VI :

 

     « Entre notre Église et les vénérables Églises orthodoxes existe déjà une communion presque totale, bien qu'elle ne soit pas encore parfaite, résultant de notre commune participation au mystère du Christ et de son Eglise.

L'Esprit nous a donné, en ces dernières années, de reprendre une vive conscience de ce fait, et de poser des actes qui traduisent dans la vie de nos Eglises et dans leurs relations les exigences de cette communion [...]. Que les situations héritées du passé et les barrières qui furent alors dressées entre nous ne soient pas un obstacle retardant ce dernier pas vers la pleine communion. Ne sommes-nous pas les disciples de Celui qui fait continuellement toutes choses nouvelles ? ››

 

      21 mars1971, réponse du patriarche Athénagoras :

 

                          « À Paul, le Très Bienheureux et Très Saint Pape de l'ancienne Rome, salut dans le Seigneur ! Par cette              réponse fraternelle, nous nous empressons de vous confirmer, frère aîné, que, obéissant à la sainte volonté du Seigneur qui veut que son Eglise soit une, visible à tous, afin que le monde entier vienne à elle, nous nous remettons constamment et sans relâche à la conduite de l'Esprit Saint, en vue de la poursuite résolue et de l'achèvement de l'œuvre sainte que, d'un commun et saint désir, nous avons commencée et développée avec vous : rendre visible et manifester au monde l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique du Christ. Avec vous, nous adressons nos actions de grâces au Seigneur pour les grands bienfaits qu'il nous a accordés, d'une part, en nous faisant prendre conscience  du grave péché de la division, au nom de son précieux Sang qui unit toutes choses et a été répandu  pour la vie et le salut du monde, et, d'autre part, en nous éveillant et nous mettant en marche, du Levant et du Couchant, vers le retour à la bienheureuse unité première des Apôtres et des Pères.

                          En fait, bien que les Églises d'Orient et d'Occident, par des fautes connues du Seigneur, se soient éloignées  1'une de l'autre, elles ne se sont pas éloignées, dans l'existence, de la communion au mystère de l'homme- Dieu                        Jésus et de son Eglise divino-humaine.

                          Nous nous sommes éloignés de l'amour réciproque et ainsi nous a été enlevé le bien sacré de la confession unanime de la foi du Christ. Nous a été enlevée aussi la bénédiction de monter ensemble à l'autel unique, institué par le Seigneur peu avant sa Passion, et d'y communier d'une communion parfaite et unanime au même précieux Corps et au même précieux Sang eucharistiques, bien que nous n'ayons pas cessé de reconnaître la validité du sacerdoce  apostolique de l’autre et du sacrement de la divine Eucharistie célébré par lui.

                        Mais voici que, de nos jours, s'est développé jusqu'à l‘angoisse le désir des fidèles d'Orient et d‘Occidend'avoir,  d'un même cœur et dans l’amour, la communion dans la vérité de la foi et dans sa confession, communion qui se célèbre et s'accomplit dans le même saint calice. Et la grâce a surabondé en nous.

                        Illuminés par cette grâce, nous voyons aujourd'hui clairement que la cause très sainte de l'unité visible de           l 'Eglise et    de la communion parfaite des fidèles en elle n’est pas une œuvre qui appartient aux raisonnements et                    délibérations des hommes, car les pensées humaines sont incertaines, mais est une expérience vécue dans la vie du Christ, vie  qui est dans son Corps, 1'Eglise [...].

                       La Table est prête dans la chambre haute, et notre Seigneur désire manger la Pâque avec nous. Refuserons-        nous ? Certes, les obstacles hérités de l'histoire ou d’autres facteurs subsistent encore et l'ennemi du Royaume de Dieu les entretient. Mais nous, n'avons-nous pas cru en Celui qui a dit que ce qui est impossible aux hommes est  possible à Dieu, et que tout est possible à celui qui croit ? Dans la foi, l'espérance et la patience, suivons ensemble  les Apôtres, de qui nous avons la grâce, la fraternité et la communion. Donnant cette réponse dans l'amour, l'estime et un profond esprit fraternel, nous embrassons d'un saint baiser Votre Sainteté vénérée et très chère.

 

                                                                                 De Votre Sainteté très vénérable le frère bien-aimé dans le Christ.

                                                                                                                              Athénagoras de Constantinople.[9]

 

Ces mutuelles visitations où se transmet l'Esprit

 

                      Mais, plus percutantes que cette correspondance admirable : les visitations mutuelles : signes au sens johannique du terme.

25 juillet 1967 : Paul VI tient à devancer la visite d'Athénagoras, en se rendant le premier chez son frère bien-aimé.

                   Cette quasi-première fut bouleversante de simple et paisible beauté[10]. Nul n'oublie ces métropolites et cardinaux serrés dans l’humble petite église du Phanar, si intime et priante. Geste saisissant entre tous : dans Sainte-Sophie, musée officiel de l'État turc, où tout acte religieux est strictement interdit - ô suprême humiliation, non seulement pour tout orthodoxe, mais pour tout cœur chrétien ! - arrivé sur le lieu où se situe l’autel, voici tout à coup l’Évêque de Rome qui tombe à genoux, s’incline profondément, prie en silence. Sous l'œil sidéré du ministre des Cultes et le regard humide du patriarche. La manière de Paul VI d'implorer le pardon de Dieu pour cette atroce Bulle d'excommunication[11]déposée par le cardinal Humbert, en cette année fatidique de 1054.

 

                       Paul VI :    -« Aujourd'hui, c'est le même amour du Christ et de son Eglise qui nous l’amène, de nouveau en pèlerin, en ce noble pays où les successeurs des Apôtres se réunirent jadis dans l'Esprit Saint pour témoigner de la foi de l'Eglise. Nous évoquons ici les quatre grands conciles œcuméniques de Nicée, Constantinople, Ephèse et Chalcédoine, que les Pères n'ont pas hésité à comparer aux quatre Evangiles. C’étaient les premières fois qu'ils se rencontraient, venant de tout le monde chrétien d'alors. Animés d’une même charité fraternelle, ils ont donné à notre foi une expression dont la richesse et la densité alimentent encore de nos jours la foi et la contemplation aimante de tous les chrétiens. I

Le secret de notre rencontre, des retrouvailles progressives de nos Christ, qui nous fait converger en Lui[12]?

                       Le Patriarche de répondre  :  

                     « Gloire à Dieu, auteur de toute merveille, qui nous a jugés dignes aujourd'hui, Nous et la hiérarchie, le clergé et le peuple qui nous entourent, associés à notre prière avec nos saints frères, les chefs des Eglises orthodoxes locales et les vénérés frères des autres Eglises chrétiennes, de recevoir avec un amour sans bornes et un très grand honneur Votre très chère et très vénérée Sainteté, venue apporter ici le baiser de la Rome ancienne à sa sœur cadette. Soyez le bienvenu, très saint successeur de Pierre, qui avez de Paul le nom et la' conduite, messager de charité, d'union et de paix. Nous vous rendons, au sein même de l'Eglise, le baiser d'amour du Christ. Les apôtres Pierre et André, qui étaient frères, se réjouissent avec nous, et à leur joie s'associe le chœur des saints Pères du Couchant et du Levant, du septentrion et du midi, qui se sont consommés dans le témoignage de la foi commune de l'Eglise indivise et dans la sanctification de leur concélébration en son sein, ainsi qu'avec eux toutes les générations qui ont aspiré à voir ce jour. Frère très saint, en descendant en paix du mont des Oliviers, comme d'un premier degré de la conciliation, et en faisant route vers Emmaüs, cheminant avec le Seigneur ressuscité et songeant à la fraction du pain, nous avons poursuivi notre chemin jusqu'à ce jour en dialoguant dans la charité. Nos cœurs étaient ardents, et le Seigneur ne nous a pas quittés. Selon sa parole véridique : “Voici, je suis avec vous" (Mt 28, 20), il nous a conduits d'étape en étape, et nous a affrontés aux signes douloureux de notre commune histoire. Il nous a ordonné d'enlever d'entre nous, du milieu de l'Eglise et de sa mémoire même le rideau de la séparation. C'est ce que nous avons fait à la mesure de notre faiblesse. Mais Celui qui donne au-delà de tout ce que nous pouvons concevoir, notre commun et unique Seigneur, a béni et accru la mesure de ses dons à son Eglise et à nous-mêmes. Et voici que, contre toute attente humaine, se trouve parmi nous l'évêque de Rome, le premier en honneur d'entre nous: “celui qui préside dans la charité" (Ignace d'Antioche)  Et nous voici tous deux face à notre commune et sainte responsabilité envers l'Eglise et à travers le monde. Vers où et comment allons-nous continuer dorénavant notre route ? « 

 

                Octobre 1967 : Trois mois plus tard, autre première : le Patriarche en pèlerinage à Rome, célébrant à Saint-Pierre, avec Paul VI, une liturgie de la Parole...

 

                 Cette mutuelle Visitation - au sens évangélique du terme - où s'échange l'Esprit Saint, fut la rampe de lancement des visites annuelles du pape ou de ses délégués au Phanar, pour chaque fête de saint André. Comme de celles du patriarche ou de ses délégués à Rome, pour chaque fête des saints Pierre et Paul. Depuis 33 ans, pas une seule fois on a failli à ce qui est devenu une belle tradition ecclésiale. .

 

                Quand Jean Paul II, puis Benoît XVI,  se sont rendus au Phanar, ou Dimitrios Ier , puis Bartholomeos au Vatican , c’est chaque fois André et Pierre se retrouvant, sur les traces d’Athénagoras et de Paul VI, juste 50 ans cette année.

 

Pieds lavés et “mémoires purifiées

 

               Une de ces visites est restée gravée dans la mémoire des témoins : celle des délégués de Dimitrios Ier, sur la colline du Vatican, le 29 juin de l’Année sainte 1975. En pleine chapelle Sixtine, devant un parterre d’évêques orthodoxes et catholiques, impromptu, le Pape tombe à genoux, se

prosterne et baise les pieds du métropolite Méliton de Chalcédoine (l’intime d’Athénagoras), représentant du patriarche. Secoué par l’émotion, celui-ci veut s’agenouiller à son tour, mais le Pape énergiquement l’en empêche.[13]

          Renversement pur et simple de l’usage naguère de baiser les pieds du Pape (usage qui avait fait reculer certains représentants orientaux au Concile de Florence, ce qui se justifie parfaitement). Sorte de réparation de la part de Paul VI. [14]

 

            Mais le signe de loin le plus historique eu lieu ce 7 décembre 1965, Vigile de la clôture solennelle de Vatican II. Dans la basilique toute illuminée, en présence de quelque 2 300 évêques de l'Église catholique romaine, venus des cinq continents, des délégués fraternels non en pleine communion avec Rome, des membres du corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège, et surtout d’une délégation de Constantinople, a lieu la levée officielle des “anathèmes” canoniques. Pendant qu'à la même heure, le patriarche procédait, en présence de la délégation de Rome, au même acte solennel.

Cet « acte ecclésial a ôté de la mémoire et du milieu des Églises le souvenir des excommunications [15]››.

Exactement 30 ans plus tard, Jean Paul Il en dira : « L'assemblée conciliaire se terminait ainsi par un acte solennel qui 'ta`t même tem s une purification de la mémoire historique, un pardon réciproque et un engagement solidaire pour la recherche de la communion.[16] »

          La page redevenue blanche, vierge, quatre ans plus tard Athénagoras pourra écrire :

« Dieu soit béni parce que, déjà en Occident comme en Orient, nous vivons la grande heure du retour à l'unité ! Aucun d'entre nous n'appelle plus l'autre à lui mais comme Pierre et André, nous nous dirigeons nous- mêmes et réciproquement vers Jésus, l'unique et commun Seigneur qui nous rend un. Nous voulons demeurer avec Jésus, demeurer unis ensemble, et demeurer tout le jour, ce jour sans fin des derniers temps. ››

 

Quand tes deux frères se retrouvent dans la Jérusalem céleste

 

              La nuit du 6 au 7 juillet 1972, dans la chambre n° 12 de l'hôpital grec orthodoxe de Balouki, Athénagoras a entendu: « Entre dans la joie de ton Seigneur I ››

Apprenant la nouvelle, Paul VI s'exclamera :

             « Nous sommes de ceux qui l'ont le plus admiré et aimé. L'amitié et la confiance qu’il nous a manifestées nous ont toujours ému. Son souvenir ne fait qu'accroître notre regret et notre espérance de l'avoir encore comme un frère auprès de nous, dans la communion des saints. ››

           « Vint le dernier soir. Le corps exténué s'abandonnait à la mort, mais l'esprit restait fort et lucide. Le patriarche a demandé à se confesser, il a récité lentement les prières de pénitence, de foi et d'amour; puis a reçu avec beaucoup de gravité et de joie la communion des mains du métropolite Méliton. Après quoi il a refusé toute nourriture et demandé qu'on le laissât seul. Non cependant: il fait revenir le métropolite, lui dit merci. Alors il reste seul pour mourir. Seul avec le Seul : c'était un moine ! »

 

                 Devant l’Hagiasma - la source sainte, source de vie - se trouve le petit cimetière des patriarches. Même impression qu'à la Grotte de Lourdes 1 la terre rendue transparente par la Vierge Mère. Le sarcophage blanc où repose Athénagoras. Le voici définitivement “près de la Mère”, lui qui, orphelin à treize ans de sa mère terrestre, aimait venir devant les icônes de la Théotokos. La tombe du patriarche est toujours fleurie. Dans les jours d'hiver où je l'ai visitée, on apportait à lstamboul des narcisses par camionnettes pleines. Leur parfum blanc, charnel et pur à la fois montait des places de la ville, comme il montait de ce tombeau. Tombeau d'un vivant.

                Le patriarche Athénagoras est entré dans la communion des saints d’Orient et d'Occident qui attirent l'une vers l'autre les deux Eglises. »

                A tout ce qu’ensemble ils ont vécu, ne peut-on appliquer ce mot de Paul VI, au retour de leur deuxième rencontre au Phanar ?

               « Nous pensons que le premier à s'en réjouir, c'est le Christ lui-même dans le ciel ›› (2/8/67)

             Un rêve: que leurs successeurs sur les Sièges apostoliques respectifs canonisent ensemble ces deux grands prophètes.                Le pape se rendant au Phanar pour la canonisation d'Athénagoras. Le patriarche à Saint-Pierre  pour celle de Paul Vl...                 Et pourquoi pas  déjà en 2014, cette 50 ème année, par Pape François et S. Béatitude Bartholomaos, l’un en la fête des S. Pierre, l’autre en la fête de S. André, ces Apôtres frères, à l’origine des Eglises sœurs.

 

              N’a-t-on pas le droit de rêver ?

              Les temps se font courts.

 

 

 

 

 

[1] Mis à part l’unique rencontre : celle d’Eugène IV et du patriarche Joseph de Constantinople au Concile de Florence (1439). Mais dans un contexte d’extrême tension. Voir Murr-Nehmé, Mahomet II impose le schisme orthodoxe, ed. de Guibert 2003

 

[2] Ce même soir du 5 janvier 1964, un jeune Grec orthodoxe débarque au séminaire français de Rome. Il y gîtera pendant ses trois ans d’études à l’Institut Pontifical oriental. Trente et un ans plus tard, il y reviendra. Il sera alors…. sa sainteté Bartholomeos 1er, successeur d’Athénagoras, sur le Siège de Saint André. Il sera reçu par Jean-Paul II, succédant à Paul Vi sur celui de Pierre. Trame tissée de fil d’or !

 

[3] . Paul VI rencontrera aussi le patriarche Orthodoxe de Jérusalem : Benedictos

 

[4] .Dans les coulisses, à Jérusalem, se trouvait aussi le père Lev Gillet, l’anonyme et illustre Moine de l’Eglise d’ ’Orient, brûlé de cette passion de l’unité de  nos Eglises-sœurs, lui, moine catholique devenu orthodoxe.

 

[5] Reproduit dans la Documentation Catholique ( n° 1614, 6-20 août 1972, p 724), ce dialogue ne fut publié qu’après la mort d’Athénagoras, avec l’accord de Paul VI. Texte complet dans mon :  Paul VI, un regard prophétique( S. Paul- vol. 1, pp170-174).

 

[6] . Si j’ai tenu à évoquer longuement ici cet événement fondateur, c’est en tant qu’anamnèse face à notre amnésie. D’un côté la nouvelle génération n’en sait rien : de l’autre, dans les pays de l’Est – vu le total embargo soviétique sur toute information venant de l’Ouest – les baptisés- orthodoxes ou catholiques- n’en n’ont rien su.  En Russie, stupeur et joie dans les yeux de mes auditeurs lorsque j’en parle !

 

[7] Complété par la correspondance entre Dimitrios et Jean Paul II, et paru au Cerf en édition populaire sous le titre : Le Livre de la Charité.

 

[8] France catholique du 18/2/94.

 

 

[9] . Le Livre de la Charité, n° 58-59 (283-284), p 153

 

[10] L'unique précédent : la visite du pape Jean Ier qui y fut reçu triomphalement, avant de mourir de faim en prison (en 526), pour n'avoir pas voulu en faire un voyage politique.

 

[11] Acte considéré comme la goutte d'eau faisant déborder le vase de la séparation déjà largement amorcée. En fait, le légat latin n'avait plus aucun pouvoir, le pape étant décédé depuis son départ de Rome.

 

 

[12] . Le Patriarche :   « Gloire à Dieu, auteur de toute merveille, qui nous a jugés dignes aujourd'hui, Nous et la hiérarchie, le clergé et le peuple qui nous entourent, associés à notre prière avec nos saints frères, les chefs des Eglises orthodoxes locales et les vénérés frères des autres Eglises chrétiennes, de recevoir avec un amour sans bornes et un très grand honneur Votre très chère et très vénérée Sainteté, venue apporter ici le baiser de la Rome ancienne à sa sœur cadette. Soyez le bienvenu, très saint successeur de Pierre, qui avez de Paul le nom et la' conduite, messager de charité, d'union et de paix. Nous vous rendons, au sein même de l'Eglise, le baiser d'amour du Christ. Les apôtres Pierre et André, qui étaient frères, se réjouissent avec nous, et à leur joie s'associe le chœur des saints Pères du Couchant et du Levant, du septentrion et du midi, qui se sont consommés dans le témoignage de la foi commune de l'Eglise indivise et dans la sanctification de leur concélébration en son sein, ainsi qu'avec eux toutes les générations qui ont aspiré à voir ce jour. Frère très saint, en descendant en paix du mont

 

[13] C'est Don Macchi lui-même, secrétaire privé de Paul VI, actuel évêque de Lorette, qui m'a précisé ce détail. A un moment, Paul VI lui glisse à l'oreille : « Eloigne-toi de moi d'environ un mètre. ›› Don Macchi, habitué à ces gestes inattendus, hors de tout protocole, m'avoua avoir pensé : « Mais que va-t-il donc encore inventer ? ››

 

[14] A propos de ce geste, le patriarche Dimitrios Ier déclarait aux journalistes : « Il n'est pas possible qu'un homme, chrétien ou non, et surtout nous-mêmes en tant que patriarche œcuménique, n'apprécie pas profondément le geste spontané, sans précédent dans l’histoire de l'Eglise, de Sa Sainteté le pape Paul VI qui, au moment de la célébration eucharistique, s'est prosterné pour baiser les pieds de notre représentant, le métropolite Meliton de Chalcédoine, conscient qu'en ce moment le métropolite représentait l’orthodoxie tout entière... Ce grand geste de Sa Sainteté, nous le voyons comme une continuation de la tradition des Pères, évêques de l'Eglise non divisée, qui ont obtenu la grandeur par l'humilité. Par cet acte, notre frère vénéré et bien-aimé, le pape de Rome, Paul VI a surpassé le pape et prouvé à l'Eglise et au monde entier ce qu'il est et ce qu'il peut être : l'Evêque chrétien et surtout le premier Evêque de la chrétienté, l'Evêque de Rome, à savoir : une puissance réconciliatrice et unificatrice de l'Église et du monde. ›› La Croix, 10/12/75

 

[15]  Déclaration commune du pape et du patriarche, Tomos Agapês,p 280

 

[16]  Ut unum, n° 52

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