C’est un véritable labeur. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, j’écris laborieusement, revoyant, améliorant, fignolant indéfiniment un texte, certaines pages connaissant 5 à 10 moutures successives, avant que je ne lui accorde le feu vert sauf pour le pâtre blessé jailli en 3 jours d’un jet .
Je pense à mon cher Bernard de Clairvaux affinant sans cesse son commentaire du Cantique ou à Claudel revoyant 18 fois son chef d’oeuvre : l’Annonce faite à Marie.
Ainsi j’ai toujours 3 ou 4 livres sur le métier en même temps. Avec quelques uns encore en prévision, c’est à dire en gestation priante. Je tâche de les écrire devant le Seigneur, implorant sur chaque page son Esprit de Lumière. Car une fois imprimé, c’est fini à jamais, bouteille lancée à la mer, qu’on ne peut plus repêcher.
Sur la soixantaine de livres, il y a 2 types différents : les gros et les petits ou les ‘’plats consistants’’ et les ‘’hors d’œuvre’’ ou ‘’desserts’’. Les premiers creusent approfondissent, émaillés de citations texto. Ils relèvent d’une théologie spirituelle nourrie de l’Ecriture et de la grande Tradition en ses 2 courants oriental et occidental.
Les seconds visent avant tout les jeunes, en vue d’ une première approche du Seigneur (le Pâtre blessé, Ce Jésus que tu cherches ) soit pour approfondir une rencontre avec le Seigneur et le faire aimer en ses différents mystères (Ton Roi, jeune comme toi, livré pour toi – ces lieux où toucher Dieu). Dans cette deuxième série, il y a tout ce qui touche à la sexualité (Ton corps fait pour l’amour…..).
Enfin le dessert, ce sont les visages de saints (Jean Baptiste, Thérèse, François, Pau VI, Jean-Paul II) et particulièrement de jeunes, d’ enfants à la vie parfumée par l’évangile (les témoins de l’avenir, ces enfants partis dès l’aube etc…)
Les premiers sont le fruit des heures de ‘’lectio divina’, et de silencieuse contemplation écrits en solitude, les seconds le fruit de mes homélies à JL ou de mes enseignements en temps de mission, donc, « scribouillés » en avion, voiture et train.
Je ne saurais, ici, assez bénir d’avoir mis sur ma route des personnes, qui, avec un admirable dévouement, font passer mes écrits du stade hiéroglyphes à la disquette nickel, ainsi que des éditeurs qui sont de vrais frères et amis. Sans eux pas un de mes livres ne seraient nés.
L’avantage de cette œuvre évangélisatrice spécifique est que je puis y mettre la dernière main sans quitter la solitude. Mes plus gros ouvrages datent de mes années de désert. Encore aujourd’hui, c’est surtout en ermitage que j’écris. Emouvant de penser qu’écrivant une page dans un alpage de 2000m elle sera un jour lue par une multitude d’inconnus sous différentes latitudes.
Inconnus ? Pas toujours. Je reçois tant de lettres de lecteurs, surtout des jeunes réagissant à la série « Ton corps.. », que la correspondance devient aussi un moyen et d’écouter et de parler à des jeunes, surtout par le mail. Un vrai dialogue s’échange, parfois sur plusieurs mois ou années. Je reçois mille confidences qui nourrissent ma prière. Les plus intimes ou douloureuses, je les dépose dans mon tabernacle, ou sous le corporal si je célèbre la messe seul, pour un temps ‘’d’incubation eucharistique’’ avant d’y répondre. C’est mon ‘’micro-onde pneumatique’’ (Pneuma : Esprit)
Et comment dire mon émotion de voir, en différents pays, ce ‘’Pâtre blessé’’, « dessiné » en gardant les brebis sur les alpages de Haute Provence, mis en scène et joué à Beyrouth et , Saïgon, à Saint Petersbourg et à Sao Paolo comme à Castres ou Florence.
Un livre, ça s’engendre. Il est d’abord conçu : il est l’enfant de notre esprit, de notre cœur. Il fait d’abord corps avec moi. Après la parturition, la parution. C’est une vraie naissance. Il fait d’abord corps avec moi. Longue, la gestation de certains. Certains passages ne peuvent être pensés, et écrits que dans l’ambiance liturgique. Sur ceux en chantier depuis plusieurs années, à chaque temps fort ou fête, j’ajoute une couche. On s’aperçoit alors de telle imperfection, de tel handicap, non décelé à temps, donc « in sinu ». Il me faut alors l’accueillir tel qu’il est, offrir cette humiliation, accepter cette impuissance : je ne puis plus rien y changer. Certains livres vont être ainsi plus aimés de l’auteur que d’autres. ll y aura des « petits préférés ». Une fois mis au monde, l’enfant est autonome. Je ne suis pas maître de sa trajectoire. Je n’ai rein à dire sur ses relations. Je ne puis sélectionner ses camarades, ni gérer ses amitiés.
Qui va lire, apprécier, aimer mon livre-enfant ? Grande inconnue ! Qui va le critiquer, le rejeter, le déformer, le caricaturer ? Surprises totales . C’est une partie de moi-même livrée à tous. J’y suis livré pieds et poings liés sur la place publique.
Ecrire est une école de pauvreté, de vulnérabilité, de dépossession. Epreuve et bonheur à la fois. Une école de confiance aussi, parce que de souffrances.
Comme un enfant, un livre me survit. Je passerai (du mot Pâques), lui restera. Et continuera son petit bonhomme de chemin…